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diminue le prix de la main-d’œuvre pour rétablir l’équilibre rompue entre lui et ses rivaux, c’est alors la libre concurrence ! Comme si le libre-échange ne devait avoir pour résultat que de déplacer le champ de bataille ! A quoi nous servirait-il, le jour de la pacification générale, d’enfouir au fond de nos arsenaux les canons rayés, les armes de précision, si nous devions, grâce à la vapeur, à l’électricité, les remplacer par des engins de destruction plus terribles encore. Le libre-échange complété par la liberté du travail ne perpétuerait pas la lutte, mais au contraire, il développerait les aptitudes et le génie propre de chaque peuple, changeant enfin les ennemis en émules.

« Ainsi, par défaut d’enseignement professionnel, la science est le privilège du capital ; par la division du Travail, l’ouvrier n’est plus qu’un agent mécanique ; et le libre-échange sans la solidarité entre les travailleurs engendrera le servage industriel, plus implacable et plus funeste à l’humanité, que celui détruit par nos pères en ces grands jours de la Révolution française.

« Ceci n’est point un cri de haine ; non, c’est un cri d’alarme. Il faut nous unir, travailleurs de tous pays, pour opposer une barrière infranchissable à un système funeste qui diviserait l’humanité en deux classes : une plèbe ignorante et famélique, et des mandarins pléthoriques et ventrus.

« Sauvons-nous par la solidarité. »

Cette fois, on relèvera facilement dans le texte, la marque d’un intellectuel. Ce n’est plus tout à fait le style accoutumé des proclamations de Blanc, de Tolain, des Soixante. Mais entre les deux séries de textes, il y a continuité d’idées, de formules : la « liberté du travail » supposant à la liberté commerciale, empêchant la concentration industrielle, et l’asservissement du travail par une aristocratie financière, c’est exactement la pensée économique du manifeste des Soixante, celle qu’une simple méditation sur leur sort avait enseigné aux travailleurs de la petite industrie parisienne. Mais on notera que cette pensée s’enrichit et se précise. Déjà, elle est pénétrée de critique proudhonnienne : on y retrouve ce qui du Proudhonnisme devait être immédiatement accessible à ces travailleurs, cette critique vigoureuse de la féodalité financière, que Chaudey et surtout Duchêne allaient bientôt développer.

« Tolain et les délégués, écrit Lelubez dans sa lettre sur le meeting, ont été très applaudis, et le vœu a été exprimé et applaudi avec vocifération d’une candidature ouvrière anglaise aux prochaines élections. J’ai alors expliqué le plan d’organisation qui a semblé être bien compris et qui a été fort applaudi. Puis est venu la proposition du comité soumise au meeting, proposée par M. Wheeler et accompagnée d’un speech éloquent dans lequel il a dit que les gouvernements auraient beau dire aux peuples de s’entre haïr, les peuples sentent qu’ils devraient s’aimer ; — que les Français avaient toujours l’avantage sur les Anglais, que ces derniers avaient envoyé leur adresse tandis que les premiers l’apportaient eux-mêmes avec un plan d’organisation tel que cela nous prouvait une fois de plus que le progrès