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du président et de l’assemblée ? Et la chute de cette majorité royaliste, habituée à conspuer toutes les idées ouvrières, n’était point pour déplaire à la masse travailleuse.

Telles furent les premières impressions populaires, les impressions dominantes, au moins ; et dans une large mesure elles persistèrent.

La bourgeoisie libérale, elle, la classe moyenne, était hostile à la dictature militaire qui s’annonçait. Mais qu’allait-elle faire, si les ouvriers ne se levaient point, les premiers, comme de coutume. La garde nationale qui aurait pu se réunir spontanément, et malgré toutes les précautions prises, tenter une résistance, ne se montra nulle part. Les journaux républicains n’avaient pu paraître, et ce n’étaient point les décisions d’une assemblée discréditée qui pouvaient soulever le peuple.

Un grand nombre de députés s’étaient réunis, on l’a vu, dans la matinée, à la mairie du Xe. L’assemblée avait, à son tour, proclamé Louis-Napoléon déchu ; elle avait entendu de certains de ses membres de bien nobles paroles ; mais elle s’était refusée à l’appel aux armes, et elle s’était laissée arrêter et conduire prisonnière jusqu’à la caserne du quai d’Orsay. Des fenêtres, beaucoup d’habitants avaient crié en la voyant passer : « Vive l’Assemblée ! Vive la Constitution ! Vive la République ! » Mais ceux-là, sans doute, attendaient, comme de coutume, que les faubourgs prissent l’initiative de la lutte.

Cependant, les républicains s’étaient réunis plusieurs fois dans la journée, chez Crémieux, le matin, chez M. Coppens, au restaurant Bonvalet, chez Beslay, enfin chez leur collègue Lafond (du Lot), quai de Jemmapes. Quelques-uns, dont Victor Hugo, étaient d’avis de donner immédiatement le signal de la résistance. La plupart voulaient attendre. Le peuple, disaient-ils, n’a vu dans le Coup d’État que le rétablissement du suffrage universel et l’appel à la souveraineté nationale ; il faut quelques heures, au moins, pour le détromper, pour le soulever. On rédigea des proclamations. Le soir, un comité de résistance fut élu : Victor Hugo, Carnot, Jules Favre, Michel (de Bourges), Madier-Montjau, Schœlcher, de Flotte le composaient. Le comité, réuni à minuit chez Cournet, décida la prise d’armes pour le lendemain matin. Quelques ouvriers du faubourg Saint-Antoine ayant assuré que le faubourg se soulèverait si les représentants de la Montagne donnaient le signal, un certain nombre de ceux-ci prirent rendez-vous pour le lendemain, à la salle Roysin, café socialiste.

Le soir du 2, la situation pouvait ne point sembler désespérée aux républicains. Ils pouvaient apprendre, en effet, que le président, vivement acclamé par les troupes autour de l’Élysée, avait été froidement accueilli, contre son espérance, par la population parisienne. Et le soir, par les rues, sur les grands boulevards ou au quartier latin, des groupes nombreux s’animaient, s’irritaient à leurs récits. Dans les quartiers riches, au boulevard des Italiens