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la multiplication des grèves, et l’opposition de la gauche libérale, qui trouvait la loi captieuse, puisqu’elle donnait aux ouvriers le droit de coalition sans leur donner le droit de réunion, et qu’on leur interdisait ainsi de se concerter pour décider, repousser ou conduire la grève. Jules Simon, Jules Favre demandaient l’abrogation pure et simple des articles 414, 415 et 416 du Code pénal. Ollivier leur reprocha de ne pas savoir se contenter d’un premier progrès, et, soutenu par les ministres, fit adopter le texte nouveau. Ce texte marquait sans doute un progrès : jusqu’au 25 mai 1864, « la coalition était punissable, dans tous les cas, quelle que fût l’intention des personnes entrées dans la coalition, quelque légitime que pût être leur prétention, quelque exempts de blâme et d’immoralité que pussent être les moyens employés pour former ou maintenir la coalition. D’après le texte nouveau, ne furent plus punies que « les violences, voies de fait, menaces ou manœuvres frauduleuses », faites dans le but d’amener ou maintenir une coalition, ou de porter atteinte au libre exercice de l’industrie ou du travail » (art. 414). L’article 416 établissait la réciprocité pour les patrons ; l’article 415 augmentait les peines prévues par l’article 414, lorsque les faits punis par cet article auraient été commis par suite d’un plan concerté. Toutes les peines prévues étaient plus sévères que celles qui atteignent des peines analogues dans le droit commun. C’est que la bourgeoisie, on le sait, doit défendre ce qu’elle appelle la liberté du travail ! N’insistons pas. Les camarades socialistes ont tous appris par expérience ce qu’est le droit de coalition, solennellement reconnu par la loi de 1864. Au bout de quarante-deux ans la discussion qui s’éleva entre Jules Simon et Émile Ollivier n’est pas encore close : mais telle a été l’accumulation de peines, issues des articles 414 et 415, depuis la promulgation de la loi de 1864, que des républicains modérés eux-mêmes se sentent contraints de demander l’abrogation de leurs sinistres dispositions.

À l’époque où elle fut promulguée, la loi ne pouvait satisfaire les prolétaires. Elle accordait le droit de coalition ; mais elle refusait le droit d’association. Elle reconnaissait la grève spontanée et violente qui éclate, lorsque les ouvriers d’une entreprise sont à bout ; elle se refusait à reconnaître celle que des ouvriers conscients de leur droit et de leurs forces auraient pu faire, et qui aurait prévenu l’autre. Coûtant marqua dans quelques articles le mécontentement des ouvriers conscients. En fait, la loi n’était applicable qu’avec un large régime de tolérance pour les associations ; et le pouvoir dut s’y plier. De nombreuses sociétés de secours mutuels ou même d’épargne prirent un caractère syndical plus prononcé et introduisirent dans leurs statuts des articles concernant la résistance. Des procès comme celui qui fut intenté à la Société de bienfaisance des portefaix de Marseille, pour avoir prescrit à ses membres de n’accepter de place qu’avec l’assentiment du syndicat, leur apprenaient pourtant, de temps à autre, qu’ils ne devaient se fier que modérément à la tolérance gouvernementale. Le régime d’arbitraire et de faveur se trouvait simplement déplacé : il ne s’appliquait plus à la grève,