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offrir quelque danger, — le président en était sûr — elles avaient été à l’avance traquées et dissoutes.

Enfin, même en admettant que çà et là quelque résistance inefficace se manifestât, quel écho eût-elle trouvé dans le pays ? Depuis 1849, les journaux présidentiels n’avaient-ils point formé l’opinion publique ? N’avait-on point su entretenir sa peur de l’inconnu socialiste ? Et dans ces temps d’incertitude et de gâchis politique cette opinion ne voyait-elle point, à tous les coins de l’horizon, surgir le spectre rouge ? Le Napoléon, Le 10 Décembre, Le Constitutionnel, Le Pays, Le Pouvoir, La Patrie, tous les journaux dévoués aux ambitions présidentielles avaient bien rempli leur tâche. Les factions révolutionnaires étaient discréditées ; les républicains sages, modérés, tout comme ceux de 1800, ne tarderaient point à se rallier au pouvoir fort du nouveau Napoléon !

Les ouvriers, eux aussi, allaient être gagnés sans doute sur le champ : il suffirait de quelques-unes de ces réformes sociales que la République leur avait promises, qu’elle n’avait point su leur donner. Quant aux paysans, ils étaient l’appui solide de Bonaparte. C’étaient eux surtout qu’il représentait depuis le 10 décembre 1848 : c’étaient eux qui, guidés par l’idée fixe qu’ils seraient sauvés par un Napoléon, lui avaient donné son énorme majorité et c’était leur rêve vraiment qu’il allait réaliser, en établissant un gouvernement fort, en démontrant l’impuissance du factieux, en mettant un terme à toutes ces luttes parlementaires, qui ne faisaient que troubler le pays.

Oui, — le prince-président en était convaincu, — en chassant l’assemblée, en rétablissant le suffrage universel, en demandant un pouvoir fort, il allait rallier tout le monde ! Toute la France allait acclamer son hardi coup d’État ! Au demeurant, si quelques-uns encore voulaient résister, Maupas était là, Morny était là, toute l’administration, toute l’armée. Lorsque Blanqui naguère tentait un coup de main, il n’avait ni l’armée, ni la police, ni les postes ; et dans son premier effort pour emporter le pouvoir central, Blanqui toujours était vaincu. Lui, Napoléon, possédait le pouvoir central : la victoire définitive était certaine.


Décembre, cependant, ne fut point l’apothéose que rêvait le neveu de l’empereur. L’armée dut intervenir. Et M. de Morny, qui voulait une saignée, put développer son plan de guerre de ville.

Le matin du deux, le peuple de Paris avait donc lu les affiches. Beaucoup sans doute les prirent à la lettre : le suffrage universel était rétabli, la majorité royaliste était chassée, la République était maintenue ! La foule, à demi-indifférente à la vie politique, pouvait être satisfaite : la légalité violée lui importait peu. Que n’avait-on pas vu d’ailleurs depuis trois ans ? — « C’était bien joué ! » tel était le jugement presque général sur les moyens employés. Quant au fond, qu’était-ce donc, sinon un nouvel épisode de la lutte