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pu donner prise aux mêmes reproches, de la part des candidats officiels. Le jour du vote, le 20 mars, Chabaud retirait d’ailleurs sa candidature n’avait eu d’autre utilité, d’autre but que de fournir à Guéroult son argument souverain contre la candidature ouvrière. Par ce petit tour machiavélique, il avait espéré garder contact et, à l’occasion, gagner peut-être les militants ouvriers. La rupture fut dès lors consommée.

Seul, Coûtant, qui lâcha bientôt ses amis, écrivit encore à l’Opinion. Comme d’autres souvent depuis, les ouvriers avaient profité de son hospitalité, sans rien aliéner de leurs idées, ni servir sa politique,

Pendant les derniers jours de la période, les basses manœuvres se multiplièrent. Un candidat impérialiste et fantaisiste, un M. Hugelmann, se porta garant pour Tolain. Celui-ci dut le désavouer. Mais les calomnies allèrent encore leur train. Les militants parisiens faisaient le rude apprentissage de ce que devait être la lutte de classe sur le terrain politique.

Dès la première heure, ils eurent à endurer de la part de la bourgeoisie, toutes les cruautés, toutes les saletés.

Tolain eut 424 voix. Le but de la bourgeoisie était atteint. Mais elle en avait atteint un autre qu’elle ne cherchait pas. Elle avait habitué les prolétaires à ne compter que sur eux-mêmes : elle avait affiné la conscience qu’ils prenaient de l’opposition des classes : elle les poussait peu à peu dans la voie révolutionnaire. Ici, Guéroult, en février, avait vu juste. Qu’on lise l’affiche ci-contre de Tolain, l’affiche de dernière heure que nous devons à la complaisance de M. Tchernoff, on verra de quel ton parle maintenant le candidat. La patience de ce modéré semble à bout : « Nous attendons depuis le commencement du monde, s’écrie-t-il ». C’est le cri séculaire des classes opprimées qui éclate ; c’est la volonté d’une complète émancipation prolétarienne qui s’affirme. On sent, au ton, malgré les mots mêmes, que le prolétariat ne veut plus attendre.

Il faudrait pouvoir suivre, en même temps, pendant toute cette période des candidatures ouvrières le vaste travail qui s’accomplissait non-seulement à Paris, mais dans toute la France et qui exerçait sa répercussion sur la bourgeoisie avancée. Il est rare en effet qu’un mouvement socialiste nettement défini ne s’accompagne point de mouvements connexes, moins décidés, moins nets, mais où se marque bien toute la poussée ouvrière. « Ce qui grandit en ce moment, écrivait en avril 1863 Ch. de Rémusat, ce sont les classes ouvrières. Sans qu’il soit aisé d’en assigner la cause, car les institutions ont peu fait pour cela, un progrès intellectuel et moral se manifeste dans leur sein, et frappe les observateurs les plus clairvoyants et les moins suspects ». Dans tous les domaines, pendant ces mois de vie intense qui s’écoulèrent depuis la délégation ouvrière de Londres jusqu’à la fondation de l’Internationale, le progrès se manifestait de toutes les manières. Surtout après la proclamation des 60 et les polémiques des 80, beaucoup de démocrates durent aussi se préoccuper de ce qu’on pouvait faire pour le prolé-