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de 1834 s’étaient servis de la terminologie de la grande révolution pour exprimer les mêmes revendications. Mais, tout compte fait, ceux-là avaient rencontré alors une bourgeoisie plus intelligente.

La bourgeoisie de 1864, elle, s’inquiéta fort du manifeste. Les ouvriers, en partant très tôt, comme ils étaient en mai partis très tard, voulaient tout à la fois prendre rang et frapper l’opinion. Ils y réussirent. Guéroult leur avait donné une hospitalité généreuse dans son journal. Le Manifeste fui lu et discuté. Le Temps, le Siècle, le Constitutionnel, la France en parlèrent. Les journaux réactionnaires et catholiques crièrent au socialisme et à la Révolution ; le Constitutionnel jeta les hauts cris et crut voir le spectre rouge. Les journaux libéraux et démocrates répétèrent qu’il n’y avait plus ni caste ni classe : le Journal des Débats demanda qu’on n’évoquât point les tristes souvenirs de l’ancien régime, ni de 1848 ; le Temps distingua encore une fois entre des candidatures ouvrières et des candidats ouvriers. — Au premier moment, Guéroult sembla se souvenir de son passé saint-simonien. Il défendit le manifeste, — oh certes ! avec prudence — tenta de montrer qu’il ne contenait aucune déclaration de classe, qu’il s’agissait simplement d admettre dans l’opposition quelques représentants ouvriers, que l’on donnerait satisfaction à la classe ouvrière, qu’ainsi on ne l’aigrirait point. Ce protagoniste de la démocratie bourgeoise ne manquait certes point d’habileté, ni d’esprit politique. (Opinion Nationale des 22 et 24 février 1864). Il publia aussi le 24, une réponse de Tolain. A l’accusation de poser la candidature ouvrière comme un principe, et de vouloir ainsi reconstituer les classes au mépris du principe de l’égalité, Tolain répondait que cette candidature n’était que la manifestation du principe de l’égalité. A l’accusation « d’opposer la question sociale à la question politique », il rappelait la phrase du manifeste disant le but des ouvriers : fortifier l’opposition libérale. — Malgré leurs déclarations, l’opposition libérale s’obstina à ne point les croire, et avec elle de nombreux ouvriers. Dès cette première affirmation des intérêts particuliers de leur classe, l’opposition se manifeste entre ceux qui voulaient se consacrer uniquement, pour l’instant, à la bataille politique, et ceux qui pensaient, que, pour la bataille politique même, il fallait une classe ouvrière forte, une classe dont le « capital humain », comme disait Corbon, devait être sauvegardé.

Au manifeste des 60, répondit dans le Siècle, le manifeste des 80 (28 février). La classe ouvrière à son tour, plus ou moins sollicitée sans doute, s’engageait dans la polémique. Les 80 proclamaient que le manifeste des 60 n’exprimait que l’opinion d’un petit nombre, que les ouvriers, comme en mai, repousseraient les candidats ouvriers. Les castes, disaient-ils, doivent s’effacer devant les principes. Les candidatures ouvrières soulèveraient « mal à propos » une question sociale, alors qu’il ne s’agit que d’une question politique. Tant qu’on n’a point la liberté, il ne faut songer qu’à la conquérir. Et ils terminaient en déclarant, qu’ouvriers de l’opposition, ils se sentaient