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n’hésitons pas à prendre l’avance pour éviter le reproche qui nous avait été fait aux dernières élections.

Nous posons publiquement la question, afin qu’au premier jour de la période électorale, l’accord soit plus facile et plus prompt entre ceux qui partagent notre opinion. Nous disons franchement ce que nous sommes et ce que nous voulons.

Nous désirons le grand jour de la publicité, et nous faisons appel aux journaux qui subissent le monopole créé par le fait de l’autorisation préalable ; mais nous sommes convaincus qu’ils tiendront à honneur de nous donner l’hospitalité, de témoigner ainsi en faveur de la véritable liberté, en nous facilitant les moyens de manifester notre pensée, lors même qu’ils ne la partageraient pas.

Nous appelons de tous nos vœux le moment de la discussion, la période électorale, le jour où les professions de foi des candidats ouvriers seront dans toutes les mains, où ils seront prêts à répondre à toutes les questions. Nous comptons sur le concours de ceux qui seront convaincus alors que notre cause est celle de l’égalité, indissolublement liée à la liberté, en un mot, la cause de la justice ».

Tel est ce texte, expression raisonnée et longuement méditée des conceptions, de plus en plus précises, qui animaient le groupe des candidats ouvriers depuis 1862. Ils apportaient encore une fois dans ce Manifeste la réfutation des arguments secondaires opposés à leurs candidatures par les représentants des partis bourgeois ; opportunité, capacité des candidats, obscurité probable des noms, tout cela n’était que « défaites », faux prétextes. Ils rappelaient en outre leurs revendications fondamentales : abolition de l’article 1781, liberté des coalitions, liberté d’association ; et s’autorisant de l’expérience toute récente de six mois d’opposition parlementaire, ils démontraient comment, en fait, les plus illustres membres de l’opposition, ceux qui prétendaient, contre eux, représenter tous les citoyens, avaient été incapables de défendre les intérêts ouvriers : tantôt, on les avait vus demander des Chambres mixtes, au lieu de Chambres purement ouvrières que souhaitaient les prolétaires ; tantôt ils laissaient passer les meilleures occasions d’affirmer et de raccrocher au travail parlementaire les revendications les plus connues.

A vrai dire, le point de départ théorique des Soixante restait le même qu’en 1863 : ce qu’ils affirmaient, dès l’abord, c’était l’égalité de leur droit politique, et leur volonté de l’exercer. Mais cette fois, à la différence de leurs circulaires de 1863, le Manifeste disait pourquoi les ouvriers voulaient exercer leurs droits politiques, et quelles espérances les animaient. La forme était encore enveloppée et prudente, mais l’affirmation était nette : si les Soixante voulaient des députés ouvriers, c’était d’abord sans doute pour obtenir, comme ils disaient, le nécessaire des réformes économiques ; mais c’était aussi, c’était surtout pour travailler à l’émancipation de leur classe.