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affaires, pendant la plus grande partie de l’année 51. Une mauvaise récolte de coton, une insuffisance de soie brute et le haut prix de la laine avaient eu sans doute plus de part, comme l’a montré Marx, à la dépression du commerce, que les querelles des partis ou même celle des deux pouvoirs ; mais les marchands français ne savaient pas discerner les causes de leur malaise. C’étaient, selon eux, les « démagogues » ou « les hallucinés de la monarchie » « qui empêchaient tout progrès et toute industrie sérieuse » ; et, lorsque en dépit de ces deux éléments, le président leur avait promis « le calme à l’avenir », il avait suscité, naguère, à la distribution des récompenses de l’exposition de Londres, de frénétiques applaudissements.

Qui donc alors pourrait résister ? Les républicains ? Les socialistes ? Sans doute, leur propagande, devenue réformatrice et légalitaire, toute dominée par l’espoir d’un immense succès électoral en 1852, leur avait donné dans le pays de nouvelles forces. Dans toutes les classes de la Société, ils avaient rencontré des adhésions, des sympathies. Tous les bourgeois sincèrement démocrates, tous ceux qui avaient vu Juin, la mort dans l’âme, et qui avaient senti, depuis lors, en province surtout, le poids d’une réaction chaque jour plus puissante, ceux-là s’étaient ralliés à la classe ouvrière, aux démocrates socialistes. Dans le précieux recueil de documents qu’il a publiés sur les Associations et sociétés secrètes de la Deuxième République, M. Tchernoff l’a bien montré : en beaucoup de centres, ouvriers et bourgeois s’étaient rapprochés ; une propagande commune avait été faite ; et une vague espérance du républicanisme social ou de socialisme modéré remplaçait dans les esprits, les systèmes absolus, où s’étaient exprimées naguère, dans toutes leur âpreté, les luttes des classes. Contre la réaction conservatrice grandissante, les républicains de progrès et les socialistes se retrouvaient. Et telle était leur propagande que dans l’armée même, surtout dans les armes spéciales, les idées républicaines, ou, comme disaient les procureurs qui, volontairement confondaient, les idées socialistes avaient pénétré.

Louis-Napoléon savait cela. Mais il savait aussi que depuis deux années, ses fonctionnaires, préfets, sous-préfets, juges, procureurs-généraux, n’étaient point non plus restés inactifs. Tout dévoués, pour la plupart, à sa fortune, dès 1849, ils s’étaient mis à la besogne. Tandis que la démocratie tentait de s’organiser pacifiquement, tandis qu’obscurément, dans un effort admirable et trop longtemps ignoré, les républicains développaient en tous sens leur pratique de l’association, la magistrature et l’administration, s’autorisant du décret du 28 Juillet 1848 sur les réunions et les clubs, confondaient systématiquement les associations et les clubs, les sociétés de secours mutuels et les sociétés secrètes, et, sous ce dernier chef, poursuivaient avec acharnement tout groupement républicain ou soupçonné de l’être. Partout où « un jour de crise » des sociétés quelconques eussent pu