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leur crédit. Qui sait aujourd’hui que trente-cinq sociétés de crédit mutuel fonctionnent obscurément dans Paris ? Elles contiennent des germes féconds, mais ils auraient besoin, pour leur éclosion complète, du soleil de la liberté.

En principe, peu de démocrates intelligents contestent la légitimité de nos réclamations, et aucun ne nous dénie le droit de les faire valoir nous-mêmes.

L’opportunité, la capacité des candidats, l’obscurité probable de leurs noms, puisqu’ils seraient choisis parmi les travailleurs exerçant leur métier au moment du choix (et cela pour bien préciser le sens de leur candidature), voilà les questions qu’on soulève pour conclure que notre projet est irréalisable, et que du reste la publicité nous ferait défaut.

D’abord, nous maintenons que, après douze ans de patience, le moment opportun est venu ; nous ne saurions admettre qu’il faille attendre les prochaines élections générales, c’est-à-dire six ans encore. Il faudrait à ce compte, dix-huit ans pour que l’élection d’ouvriers fût opportune. Vingt et un ans depuis 1848 !!! Quelles meilleures circonscriptions pourrait-on choisir que la 1ere et la 5e ! Là, plus que partout ailleurs, doivent se trouver des éléments de succès.

Le vote du 31 mai a tranché d’une manière incontestable, à Paris, la grande question de liberté. Le pays est calme : n’est-il point sage, politique, d’essayer aujourd’hui la puissance des institutions libres qui doivent faciliter la transition entre la vieille société, fondée sur le salariat, et la société future qui sera fondée sur le droit commun ? N’y a-t-il pas danger à attendre les moments de crise, où les passions sont surexcitées par la détresse générale ?

La réussite des candidatures ouvrières ne serait-elle pas d’un effet moral immense ? Elle prouverait que nos idées sont comprises, que nos sentiments de conciliation sont appréciées, et qu’enfin on ne refuse plus de faire passer dans la pratique ce qu’on reconnaît juste en théorie.

Serait-il vrai que les ouvriers candidats dussent nécessairement posséder ces qualités éminentes d’orateur et de publiciste qui signalent un homme à l’admiration de ses concitoyens ? Nous ne le pensons pas. Il suffirait qu’ils sussent faire appel à la justice, en exposant avec droiture et clarté les réformes que nous demandons. Le vote de leurs électeurs ne donnerait-il pas d’ailleurs à leur parole une autorité plus grande que n’en possède le plus illustre orateur ? Sorties du sein des masses populaires, la signification de ces élections serait d’autant plus éclatante, que les élus auraient été, la veille, plus obscurs et plus ignorés. Enfin le don de l’éloquence, le savoir universel ont-ils donc été exigés comme conditions nécessaires des députés nommés jusqu’à ce jour ?

En 1848, l’élection d’ouvriers consacra par un fait l’égalité politique ; en 1864, cette élection consacrerait l’égalité sociale.

A moins de nier l’évidence, on doit reconnaître qu’il existe une classe spéciale de citoyens, ayant besoin d’une représentation directe, puisque