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Il fut publié sans titre, sous quatre lignes de Guéroult, affirmant que cette « communication lui paraissait digne de l’attention et de la sympathie la plus sérieuse ».

« Au 31 mai 1863, disait ce manifeste, les travailleurs de Paris, plus préoccupés du triomphe de l’opposition que de leur intérêt particulier, votèrent la liste publiée par les journaux sans hésiter, sans marchander leur concours ; inspirés par leur dévouement à la liberté, ils en donnèrent une preuve nouvelle, éclatante, irréfutable. Aussi la victoire de l’opposition fut-elle complète, telle qu’on la désirait ardemment, mais certes plus imposante que beaucoup n’osaient l’espérer.

Une candidature ouvrière fut posée, il est vrai, mais défendue avec une modération que tout le monde fut forcé de reconnaître. On ne mit en avant pour la soutenir que des considérations secondaires, et, de parti-pris, en face d’une situation exceptionnelle, qui donnait aux élections générales un caractère particulier, ses défenseurs s’abstinrent de poser le problème du paupérisme. Ce fut avec une grande réserve de propagande et d’arguments que le prolétariat tenta de se manifester : le prolétariat, cette plaie de la société moderne, comme l’esclavage et le servage furent celles de l’antiquité et du moyen-âge. Ceux qui agirent ainsi avaient prévu leur défaite, mais ils crurent bon de poser un premier jalon. Une pareille candidature leur semblait nécessaire pour affirmer l’esprit profondément démocratique de la grande cité.

Aux prochaines élections la situation ne sera plus la même. Par l’élection de neuf députés, l’opposition libérale a obtenu à Paris une large satisfaction. Quels qu’ils fussent, choisis dans les mêmes conditions, les nouveaux élus n’ajouteraient rien à la signification du vote du 31 mai : quelle que soit leur éloquence, elle n’ajouterait guère à l’éclat que jette aujourd’hui la parole habile et brillante des orateurs de l’opposition. Il n’est pas un point du programme démocratique dont nous ne désirions comme elle la réalisation. Et, disons-le une fois pour toutes, nous employons ce mot : Démocratie, dans son sens le plus radical et le plus net.

Mais si nous sommes d’accord en politique, le sommes-nous en économie sociale ? Les réformes que nous désirons, les institutions que nous demandons la liberté de fonder, sont-elles acceptées par tous ceux qui représentent au Corps législatif le parti libéral ? Là est la question, le nœud gordien de la situation.

Un fait démontre d’une façon péremptoire et douloureuse les difficultés de la position des ouvriers.

Dans un pays dont la constitution repose sur le suffrage universel, dans un pays où chacun invoque et prône les principes de 89, nous sommes obligés de justifier des candidatures ouvrières, de dire minutieusement, longuement, les comment, les pourquoi, et cela pour éviter non seulement les