d’assimilation s’était fait dans la partie la plus active et la plus intelligente de la population ouvrière. Pour ne plus s’épancher bruyamment au dehors, les idées n’étaient pas mortes ; les esprits trituraient les théories. Élaguant les exagérations, les utopies impraticables, ils dégageaient les réformes pratiques, en les contrôlant rigoureusement par les faits. Comprenant qu’on ne change point en un jour les conditions économiques d’une société, que le principe de l’association s’était heurté devant l’ignorance et l’impatience des masses, on changea de route et, peu à peu, on entendit proposer par les classes ouvrières quelques réformes nettes et précises : abrogation de l’article 1781, de la loi sur les coalitions, création de Chambres syndicales, d’agences professionnelles, de sociétés de crédit mutuel, et, par-dessus tout, l’instruction primaire gratuite et professionnelle. Travail sourd, ignoré de tout ce qui n’était pas mêlé à la vie intime de l’ouvrier, mais qui n’en a pas moins jeté de profondes racines. »
Ainsi, selon Tolain, tout le réformisme pratique du prolétariat parisien d’alors se rattache à la tradition socialiste de 1848 ; ce sont, élaguées de leurs utopies et contrôlées par les faits, les revendications d’alors qu’il prétend reprendre ; et c’est comme « une transformation du socialisme » que s’annonce le nouveau mouvement. Et sans doute ce socialisme est encore d’une insuffisance notoire ; sans doute la préoccupation constante d’arriver à la conciliation du patronat et du salariat, qui reparait dans tous les écrits et même dans ce dernier, est théoriquement le contraire du socialisme. Mais il est frappant de voir que les prolétaires parisiens, au moment où ils s’affirment comme une classe indépendante, ayant ses intérêts propres et prétendant les défendre elle-même, se rattachent déclarément à la tradition socialiste, revendiquent le nom de socialistes. Et c’est merveille aussi de suivre, comment, mois par mois, presque semaine par semaine, par le développement logique d’une pensée toujours en éveil, ces travailleurs, poussés par la conscience de leurs intérêts vrais, s’élèvent peu à peu des revendications élémentaires d’un syndicalisme purement corporatif, jusqu’à l’idée déjà vaguement entrevue d’une émancipation totale.
En cette fin de 1863, sans doute, il reste encore bien des étapes à franchir. Mais avec une obstination inlassable les militants parisiens poussent leur besogne de propagande et d’organisation. L’échec de leurs candidatures, les 332 voix de Blanc ou les 11 voix de Coûtant, ne les ont pas découragés. Des élections complémentaires vont avoir lieu à Paris, en mars 1864. Ils décident d’affirmer une fois encore leur idée.
Le 17 février 1864, l’Opinion Nationale publia le manifeste des Soixante, par lequel le petit groupe affirma vraiment pour la première fois sa doctrine.
C’est là un document capital dans notre histoire socialiste, document oublié maintenant du prolétariat, et qui n’est guère cité que par fragments dans les histoires scientifiques. On nous permettra de le donner ici complètement, d’en fournir ainsi une nouvelle édition à nos camarades.