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qu’elle ne fût pas prise en considération, Blanc ripostait ; « Si cela est vrai, je le regrette beaucoup, parce que cela me paraît indigne d’un grand corps de l’État : je le regrette parce que cela nous condamne pour toujours à des intermédiaires très honorables et très éloquents, mais qui ne sont pas nous-mêmes (souligné dans le texte ; je le regrette parce que c’est la continuation des castes, que nous voudrions tous voir disparaître ; je le regrette parce ; que c’est la négation même du progrès, la porte fermée au nez des travailleurs ». Girardin proposait aux travailleurs d’apporter aux députés leurs dossiers : Blanc se refusait à être un client ! — Comme il disait encore spirituellement, « il rentra dans sa blouse comme les diables à ressort rentrent dans leur boite, sans avoir fait de mal à personne ». Mais… L’idée restait et n’abdiquait point.

Quelques semaines plus tard, Tolain lançait sa brochure : Quelque vérités sur les élections de Paris. Il y racontait les tripotages électoraux de l’opposition ; il y précisait les revendications des prolétaires parisiens ; et il y affirmait encore leur droit d’avoir des représentants à eux, comme MM. Emile-Isaac-Eugène Péreire et Talabot étaient les défenseurs naturels du capital (p. 25). La pensée inspiratrice de la brochure n’était point fondamentalement différente de celle des délégués de Londres : liberté de coalition, liberté d’association, chambres syndicales ouvrières, accord réel du capital et du travail dans la liberté, mais affirmation très nette des droits ouvriers, des intérêts ouvriers, lesquels ne peuvent être représentés et défendus que par des ouvriers. Tirant la leçon des élections, Tolain indiquait que les démocrates eux-mêmes, les uns « enfermés dans le cercle cabalistique d’une théorie », les autres franchement hostiles, ne soutiendraient pas les candidatures ouvrières. Si les travailleurs, concluait-il, trouvent que leur émancipation se fait trop attendre, qu’ils se mettent à l’œuvre. « Le suffrage universel comme le libre échange portent en leurs flancs plus d’une surprise dont s’ébahira la vieille société. »

Mais ce qu’il y a de nouveau, cette fois, dans la brochure de Tolain, c’est l’affirmation que le mouvement de la candidature ouvrière est la continuation même du mouvement socialiste. Quand cette candidature a surgi, dit-il, on a discuté sur-des points de détail, « mais il s’agissait bien d’autre chose ! Il s’agissait, en effet, de réclamer l’égalité entre le travail et le capital. Chose curieuse, à part les socialistes, l’expérience du passé n’a éclairé ni les hommes d’hier ni ceux d’aujourd’hui » ! Puis, après avoir rappelé comment le peuple, incapable encore de formuler ses revendications, s’était porté d’instinct vers les doctrines sociales, et comment les démocrates qui se croyaient à l’avant-garde avaient tenté d’écraser le socialisme en juin, Tolain continue : « Au 3 décembre, on put croire que le socialisme avait vécu. C’était une erreur. Il s’était transformé. Pendant ces dix années de silence, pendant le calme profond (à peine troublé par la guerre d’Italie) qui avait succédé aux mouvements tumultueux de la place publique, un lent travail