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soutenir la candidature d’un de leurs camarades, connaissant leurs besoins, et capables de défendre leurs intérêts » — « qu’ils avaient espéré pouvoir se grouper autour de la réunion Carnot ; mais que, cette réunion dissoute, ils ne renonçaient point pour cela à leur projet », enfin « qu’ils avaient fixé leur choix sur Joseph Blanc, ouvrier-typographe ». Cette lettre était signée de Buette, Murat, Jean et Louis Aubert, Vanhamm et de neuf autres camarades. Le 26 mai, le Temps publiait la circulaire du nouveau candidat. Blanc affirmait qu’il était possible et juste qu’un ouvrier pût représenter Paris, l’ouvrier étant une des forces vives de la nation », et une assemblée législative n’étant complète que lorsqu’elle est la représentation de toutes ces Forces ». « Il est temps, disait-il, que les travailleurs s’affirment ; car nous ne sommes guère plus avancés qu’aux jours où il fallait être censitaire pour participer aux choses de l’État… Si éloquentes que soient les voix généreuses qui ont défendu nos intérêts, il est impossible qu’ils soient mieux compris et mieux défendus que par nous-mêmes ». Le candidat disait ensuite les revendications ouvrières : liberté de coalition, création de chambres syndicales, élues au suffrage universel, « complétant l’institution des prudhommes », et à qui il reviendrait « d’aider aux associations libres, de perfectionner les sociétés de secours mutuels et de résoudre, en sauvegardant la dignité de tous, le problème de l’assurance contre le chômage ». Mais il assurait en terminant que, nommé pour défendre les intérêts ouvriers, il n’oublierait pas les questions générales ; et il reprenait à son compte le programme de l’opposition républicaine et libérale.

Cette candidature, si nette, fut — on ne s’en étonnera pas outre mesure — mal accueillie par la presse. L’Opinion Nationale, le Temps protestèrent contre le principe des candidatures ouvrières. On a souvent depuis entendu les arguments dont ils se servirent alors même : depuis 1789, il n’y a plus de classes ! Un candidat représente tout le monde ! Un ouvrier peut être candidat, mais il ne peut y avoir de candidats ouvriers ! etc., etc. Le Siècle, journal de M. Havin, le candidat menacé, accusa les ouvriers de fomenter la division. Pour discréditer leur candidature, il inséra une protestation contre Blanc qui se serait présenté seulement, disait-il, comme le candidat de la typographie parisienne. À cette argumentation par l’absurde. Blanc riposta en montrant que l’initiative de sa candidature revenait surtout à des mécaniciens ; et il montra que non-seulement les travailleurs parisiens dans leur généralité s’intéressaient à son succès, mais que son initiative avait du retentissement dans toute la France. Cinq cents ouvriers lyonnais, des ouvriers des ateliers Cail lui envoyaient des adresses ; cinq cents typos envoyaient une note au Temps pour soutenir leur confrère ; et beaucoup d’ouvriers encore venaient à une réunion de La Chapelle le 31 mai, définir « le caractère de la candidature ouvrière, éminemment fraternelle vis-à-vis de la bourgeoisie démocratique », si elle était contraire à la dictature d’un comité de candidats sans délégation.