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action plus hardie, plus dégagée, afin de hâter l’obtention du droit de grève ou de la liberté d’association. Peu à peu, profitant de la demi-tolérance accordée, ils risquèrent encore quelques pas en avant.

L’espace nous manque pour pouvoir suivre, dans le plus grand détail, le mouvement des idées dans le prolétariat parisien, pendant ces étranges premiers mois de 1863 : et d’ailleurs les documents sont, à tout prendre, peu abondants. Certains traits cependant, encore peu remarqués, permettent de deviner le progrès qui se fit.

Et d’abord, le fait, trop négligé, de la constitution de deux groupes ouvriers de souscription, pour remédier à la crise cotonnière qui sévit à ce moment-là. La guerre de sécession, en effet, avait tari presque complètement l’arrivage du coton américain. Or sur 850 millions de kilogrammes de coton employés alors en Europe, les États-Unis en fournissaient 716 ! C’est dire suffisamment l’intensité de la crise. Les industriels du Nord, eux, « se retournèrent », substituèrent la laine et le lin au coton ; mais en Normandie, la misère fut épouvantable. Un douloureux frisson courut dans le monde impérial, lorsque des journalistes, comme Pessard, révélèrent les souffrances des tisseurs de la Seine-Inférieure. Les journaux, les journaux démocratiques surtout, ouvrirent des souscriptions ; l’Empereur unit ses efforts aux leurs.

Ceux des ouvriers qui prétendaient affirmer la maturité de leur classe, ne pouvaient demeurer en arrière. Tous furent unanimes. Mais il fut frappant devoir se détacher alors le petit groupe d’avant-garde.

Le 20 janvier, en effet, l’Opinion Nationale publia un appel aux ouvriers, réclamant de tous 10 centimes par semaine pour les cotonniers. « C’est la question du chômage, y lisait-on, qui se pose devant nous dans toute sa hideur, et qui semble nous accuser de n’avoir rien prévu, rien organisé ; c’est la question du chômage qui s’impose et réclame une solution par une mutuelle assurance au nom de la solidarité et de la fraternité ». Cet appel était signé de Ripert, chapelier ; Vuillennot et Gérigeon, ouvriers en papiers de couleurs ; Coûtant, typographe ; Perrachon, monteur en bronze ; Guérineau, gantier ; Tolain, ciseleur ; Blanc, typographe ; Revenu, peintre sur porcelaine ; Carrât, tailleur ; Royanez, mégissier ; Flandre, ciseleur ; Kin, moteur en bronze ; Davezac, typographe. Perrachon avait signé naguère la première brochure ouvrière ; désormais, il n’allait plus jurer que par Tolain. Le 24 janvier, ce groupe, augmenté de cinq nouveaux membres, publiait un nouvel appel. — Or, le 26, toujours dans l’Opinion Nationale, paraissait un autre appel, émanant cette fois de la commission ouvrière qui avait présidé aux délégations de Londres, et désignant comme collecteurs, précisément ces délégués qu’elle « considérait, disait-elle, à juste titre, comme les représentants de la classe ouvrière ». Ce nouvel appel est signé de Chabaud., le ferblantier, président de la commission, de Wasnchooter, Grandpierre, Dargent, et de nombreux autres délégués. Il n’y a certes, dans cet appel, aucune parole de désapprobation pour l’initiative du premier groupe ; rien