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pensées et nos observations avec les ouvriers des différentes nationalités, nous arriverons à découvrir plus vite les secrets économiques des sociétés. Espérons que maintenant que nous nous sommes serrés la main, que nous voyons que comme hommes, comme citoyens et comme ouvriers nous avons les mêmes aspirations et les mêmes intérêts, nous ne permettrons pas que notre alliance fraternelle soit brisée par ceux qui pourraient croire de leur intérêt de nous voir désunis ; espérons que nous trouverons quelque moyen international de communication, et que chaque jour se formera un nouvel anneau de la chaîne d’amour qui unira les travailleurs de tous les pays. »

Emile Richard répondit sur le même thème, célébra l’abaissement des frontières, les langages différents exprimant les mêmes idées, l’union fortement cimentée entre les travailleurs des deux côtés du détroit.

Etaient-ce là simplement quelques phrases de vague fraternité ? Les ouvriers français ne l’entendaient pas ainsi ; ils avaient trop à apprendre de leurs camarades anglais au point de vue corporatif, pour ne pas souhaiter l’établissement immédiat de relations régulières. Par la bouche de Melville-Glover, leur interprète, ils demandèrent aussitôt « que des comités ouvriers fussent établis pour l’échange de correspondances sur les questions d’industrie l’internationale ». Et la proposition fut accueillie par des applaudissements chaleureux.

Plusieurs délégués, nous l’avons dit, trouvèrent en Angleterre des places avantageuses et demeurèrent. Des Français proscrits, assistant au banquet, s’intéressèrent à ces relations internationales nouvelles. Des lettres furent échangées ; chaque jour, le besoin de relations constantes se fit plus vivement sentir.

Tel était l’état d’esprit des militants parisiens à la fin de 1862. Soucieux avant tout d’améliorer la condition matérielle et morale de leur classe, désireux d’obtenir les libertés nécessaires à la réalisation de ce dessein, ils s’efforçaient d’émouvoir l’opinion en faveur de leurs revendications, et, par de cordiales relations avec les travailleurs étrangers, de s’assurer des renseignements ou au besoin une aide qu’ils sentaient utile pour leur lutte. Dès le retour de Londres, l’idée d’une Association internationale des ouvriers pointait dans ces esprits tourmentés.

Mais, dès ce moment, et, en partie du moins, sous l’influence de cette idée, des divergences allaient se produire parmi les militants parisiens. Dans toute cette affaire de la délégation de Londres, les hommes qui suivaient Tolain, qui acceptaient ses compromissions limitées, s’étaient rencontrés avec les ouvriers du Palais-Royal, avec Chabaud, avec Gauthier, avec Bazin. Ceux-là, après comme avant le voyage de Londres, étaient disposés à tout attendre d’une bienveillante intervention impériale. Or, il semble que dès alors, dès ce début de 1803, Tolain et ses amis, sans différer beaucoup plus de Bazin ou de Gauthier que J. Favre au même temps ne divergeait d’E. Ollivier ou de Darimon, aient cherché les moyens d’une