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qu’un très grand nombre de professions demandent l’établissement de Chambres mixtes, ou pour parler selon nos formules modernes, de commissions mixtes permanentes. Il appartiendrait à ces commissions « d’établir des tarifs qui, une fois admis de part et d’autre, auraient force de loi » ; de s’occuper de lois concernant la profession ; de régler l’apprentissage et l’enseignement professionnel ; en un mot, comme le disent quelques-uns, de donner à la corporation ses statuts. Et l’on pourrait sans doute retrouver ici la survivance de l’idée corporative traditionnelle ; mais certains rapports prennent soin de mettre en garde, de bien marquer l’opposition entre la corporation ancienne, faite d’oppression et de privilège, et la corporation moderne dont le but serait d’amoindrir et d’empêcher l’oppression.

Ce que les ouvriers recherchent, en effet, par les commissions mixtes, c’est un règlement amiable des conditions du travail, un règlement pacifique, obtenu sans grèves. De nombreux rapports encore y insistent : les Chambres syndicales doivent supprimer les grèves ; et l’on retrouve, chez tous, le souvenir cuisant des souffrances endurées dans les luttes récentes. « Nous n’avons jamais obtenu aucune amélioration qu’en faisant grève, disent par exemple les mégissiers : ce n’est qu’en employant des moyens que la loi condamne que nous pouvons obtenir des augmentations. On conviendra que cette situation est déplorable autant pour le patron que pour l’ouvrier » (p. 112. Les tourneurs en chaise (p. 530), les fondeurs-typographes (p. 745), d’autres encore reviennent sur cette idée que les Chambres syndicales, régulièrement instituées, permettront d’obtenir sans grèves toutes les améliorations.

Mais ce qu’il faut bien marquer, c’est que tous, en même temps qu’ils réclament cette institution de commissions mixtes, demandent la liberté de faire grève et de fonder des sociétés purement ouvrières. Ces sociétés corporatives, les délégués les conçoivent naturellement sur le modèle des Trade-Unions, qu’ils viennent d’avoir sous les yeux, ils les conçoivent avant tout, d’abord, comme des mutualités professionnelles, assurant la vie de l’ouvrier, en cas de maladie, en cas de chômage, assurant le placement, et même, comme les sociétés anglaises, garantissant à leurs membres une retraite pour la vieillesse (p. 595). Ils savent qu’il ne peut y avoir de défense professionnelle efficace sans de telles sociétés, et ils sentent que, sans elles, les commissions mixtes deviendront rapidement un nouvel instrument de domination patronale. Tolain, quelques mois plus tard, à un moment où, d’ailleurs, tous les rapports des délégués n’étaient pas encore publiés, exprimait très fortement cette idée que, dans des chambres syndicales mixtes, on n’obtiendrait point une conciliation des intérêts, « mais une confusion aboutissant à l’impuissance ou à l’oppression ». « Or, disait-il, si l’on veut opprimer le capital, il se dérobe et fuit ; si l’on opprime le travail, un malaise général envahit le corps social ». A vouloir concilier des intérêts qu’il faut cependant bien reconnaître opposés, on éterniserait la lutte. « L’accord réel,