Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créaient pour eux les faveurs mêmes du pouvoir, les prolétaires parisiens n’étaient pas en goût d’abstention. Ils allaient voter en 1863 pour les opposants, un de ces opposants s’appelât-il Thiers. En 1862, ils profitaient des avances du pouvoir ; et la création de la commission ouvrière, la nomination même des délégués, malgré l’indépendance de certains, pouvaient être le premier pas vers une alliance avec l’Empire. Tolain et ses camarades étaient alors, si l’on veut, dans l’état d’esprit du trade-unionisme anglais, d’ancien style, cherchant à obtenir du parti au pouvoir les plus grands avantages possibles, quitte à le lâcher ensuite le jour où il ne servirait plus ses intérêts professionnels. Mais, à l’heure même où il lui est donné, un parti n’en bénéficie pas moins d’un semblable appui ; et l’Empire pouvait en profiter pour s’assurer, pour se consolider.

Là était le danger ; mais le voyage de Londres, lui-même, fut l’antidote. Ce fut la précision nouvelle qu’il donna à la conscience que les ouvriers parisiens avaient pris de leurs intérêts de classe, ce fut la confiance qu’il leur donna en une action strictement indépendante, qui les aida à se dégager de la protection du pouvoir et à poursuivre seuls leur besogne d’émancipation.

Au point où en étaient les ouvriers parisiens, le voyage de Londres devait leur être, en effet, des plus profitable. La gêne où les plongeait la disproportion entre leurs salaires et les prix des denrées les poussait instinctivement à l’action syndicale et à des grèves qui leur avaient été jusqu’alors légalement interdites. Or, ils allaient trouver en Angleterre, dans presque tous les métiers, des ouvriers dont le travail, qu’ils estimaient d’ailleurs de qualité inférieure au leur, était mieux rétribué ; des ouvriers qui, souvent, ne faisaient que dix heures de travail par jour et parfois moins : des ouvriers qui discutaient librement du taux des salaires avec leurs patrons, dans des commissions mixtes ; enfin des ouvriers libres de s’unir dans des sociétés corporatives, libres de refuser collectivement leurs bras, lorsque le labeur de ces bras n’était point payé à son prix. Outre l’Exposition, les délégués visitèrent des ateliers. Ils furent tous vivement frappés de la situation des prolétaires anglais. Quelques-uns, des jeunes, voulurent même jouir immédiatement de ces conditions meilleures, et demeurèrent en Angleterre. Les autres repartirent, mais convaincus plus que jamais de la nécessité des réformes qui leur tenaient à cœur, de l’urgence qu’il y avait à les obtenir.

A leur retour, ils rédigèrent leurs rapports et les soumirent à leurs commettants. La plupart de ces rapports se composent d’un bref historique, d’un examen technique des expositions du métier, enfin d’une conclusion on se trouvent exprimés les besoins et les vœux des ouvriers de la profession. (Rapports des délégués des ouvriers parisiens à l’Exposition de Londres en 1861. Paris, 1862-64).

Ces vœux, c’étaient naturellement, encore une fois, ceux que révélaient depuis des années les actes illégaux de la classe ouvrière, ceux qu’avaient