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ouvriers en conscience demandèrent une augmentation du prix de l’heure équivalente à celle qui avait été consentie au travail aux pièces.

Ce fut l’occasion d’une nouvelle grève. A peine sortis d’une lutte, les typos en rengageaient une autre. 215 d’entre eux y prirent pari. L’administration s’acharna : les délégués ouvriers et 11 grévistes furent arrêtés (fin juillet).

C’est alors qu’un coup de théâtre se produisit. La majorité de l’opinion libérale se prononçait en faveur des ouvriers ; les journaux de gauche multipliaient les articles en leur faveur. Les ateliers parisiens se passionnaient pour eux. Le 30 août, par ordre de l’Empereur, les inculpés furent mis en liberté provisoire ; puis, lorsque le 29 septembre, malgré la plaidoierie de Berryer, dont l’éloquence même n’avait pu avoir raison des préjugés capitalistes, ils eurent été condamnés à l’amende et à la prison, lorsque le 15 novembre, en appel, ils eurent été de nouveau condamnés, l’Empereur, par une nouvelle et éclatante décision, les gracia tous.

C’était le coup de mort donnée à la législation existante ; dès ce jour, le délit de coalition était effacé, sinon de la loi, du moins des décisions des tribunaux. Il devenait inutile de prononcer des condamnations que l’Empereur annulait aussitôt. La tolérance du droit de grève s’ajoutait à la tolérance des sociétés professionnelles de secours mutuels. Mais, en même temps, c’était, déclarée, la volonté d’alliance avec la classe ouvrière. Je ne sache point que personne alors ait signalé, pressenti le danger. Napoléon III poussant hardiment dans la voie des réformes sociales, satisfaisant aux revendications immédiates de la classe ouvrière, et cette classe ouvrière se ralliant peu à peu à lui, c’était la réalisation du socialisme césarien ; c’était la voie barrée à la République et au socialisme tout à la fois, pour des années. Jamais peut-être, ce danger ne fut plus imminent qu’aux environs de 1862.

Et, en effet, pendant que se déroulait la grève typographique, la commission ouvrière, elle non plus, ne demeurait pas inactive. Elle avait organisé cinquante bureaux électoraux, par profession : tout ouvrier exerçant la profession avait le droit de venir participer à la nomination des délégués. Et si, dans les ateliers parisiens, l’état d’esprit signalé par Tolain n’avait point disparu, si les initiateurs avaient eu à se défendre de bien des accusations, sans doute de la part de républicains obstinés, d’abstentionnistes au point de vue économique comme il en subsistait encore au point de vue politique, s’ils avaient eu à supporter aussi les railleries des indifférents, tout un mouvement étonnant se produisait autour de ces élections ; les ouvriers se concertaient et se préparaient en masse à voter, à tel point même que la préfecture de police s’en inquiéta et qu’il fallut encore une fois une intervention personnelle du chef de l’État pour que la commission put poursuivie sa tâche. Les 200 délégués furent nommés. Les départs pour Londres eurent lieu du 19 juillet au 15 octobre.

Ainsi, malgré les entraves apportées à leur activité, malgré la gêne que