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le lendemain tous faisaient mise bas, sauf deux. Cynique, le patron déposa une plainte contre la coalition et fit arrêter plusieurs ouvriers.

Ceux-ci dénoncèrent alors à l’administration les menées des maîtres, qui, pour accentuer encore l’abaissement des salaires, faisaient dresser des jeunes filles, dans les communautés religieuses, au travail de la composition.

On conçoit que, dans ces conditions, les travaux de la commission mixte ne pouvaient être qu’une comédie ; le 20 mars, les ouvriers y mirent fin.

Alors, le 22, à la succursale de Clichy de l’imprimerie Dupont, des femmes furent introduites, avec un salaire réduit de 30 0/0. Le gros patron qu’était M. Dupont, décoré et député, avait l’impudence de déclarer qu’il agissait ainsi, en bon philanthrope, afin de fournir du travail aux femmes. Mais, pressentant sans doute que cette philanthropie ne serait point tolérée longtemps par ceux qui en faisaient les frais, le 25 mars, sans que le moindre désordre se fût produit, sans que le travail eût été abandonné, il faisait arrêter par la police, toute à sa dévotion, cinq compositeurs, les mauvaises têtes. Le coup manqua : le 28, malgré l’arrestation des meneurs, 117 ouvriers sur 120 faisaient grève. La police alors multiplia les arrestations : Gauthier, président de la société typographique, rendu responsable fut arrêté ; avec lui, une trentaine d’ouvriers. Sept arrestations furent maintenues.

Le 8 mai, après plusieurs semaines de détention préventive, après deux jours de débat, trois d’entre eux furent acquittés ; les quatre autres condamnés à 10 jours de prison et 16 francs d’amende. Deux des condamnés interjetèrent appel ; le 4 juin, ils étaient de nouveau condamnés en appel.

Cependant avec une énergie admirable, sans se laisser intimider par ces premières condamnations, ni par les coupes sombres faites par les patrons (61 ouvriers n’avaient pu rentrer chez Dupont), les ouvriers typographes poursuivaient la révision du tarif. Des patrons, ils en appelaient maintenant au pouvoir. Le 30 mai 1862, par une pétition signée de 2,400 ouvriers et adressée à l’Empereur, ils réclamaient le règlement d’administration publique promis par le décret du 5 février 1810 sur l’organisation de l’imprimerie. « A défaut de la liberté d’imprimerie, disait la pétition, du moins nous désirerions jouir des garanties que Napoléon Ier avait fait espérer en faveur des ouvriers privés de la possibilité de s’établir. » Et ils réclamaient le droit d’avoir leur chambre syndicale, comme les patrons ; ils réclamaient un tarif périodique, établi par un accord entre patrons et ouvriers et obligatoire pour tous, enfin la limitation par une commission mixte du nombre des apprentis. Le ministre du commerce répondit qu’il ne pouvait satisfaire aux vœux exprimés.

La situation était désespérée : les délégués de la Commission mixte conseillèrent alors d’accepter les maigres concessions faites par les patrons le 25 mars. Mais les ouvriers se retirèrent en bon ordre ; ils demandèrent dans chaque maison un engagement formel d’appliquer le tarif ; et les