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et la grève retentissante des typographes parisiens vinrent presqu’en même temps attirer l’attention publique sur les questions ouvrières et réveiller dans la classe ouvrière des idées d’initiative et d’indépendance.

En 1849, la Chambre de Commerce de Lyon, en 1851, le Conseil municipal de Paris avaient envoyé des délégués ouvriers aux Expositions de Paris et de Londres. En 1855, on s’en était bien gardé : la nomination même des délègues n’aurait-elle point fait renaître ces idées d’association, de solidarité qu’on voulait alors achever d’étouffer ? Mais, en 1861, le vent avait changé. Envoyer des délégués à la prochaine Exposition internationale de Londres, c’était manifester la sollicitude du pouvoir pour les classes ouvrières, c’était travailler, en développant leurs connaissances et leur goût, à la grandeur de l’industrie, c’était enfin aider à la diffusion des conceptions libre-échangistes. Et à l’heure même où les patrons protectionnistes menaient grand bruit contre l’Empire, au moment où leurs théoriciens comme M. Dupin polémiquaient âprement avec Michel Chevalier, l’apôtre français du libre-échange, l’idée d’une délégation ouvrière à Londres, une fois lancée, ne devait point déplaire au pouvoir. Arlès-Dufour, industriel et saint-simonien, avait repris le projet dans le Progrès de Lyon ; l’Opinion nationale suivit ; Pauchet, son secrétaire de rédaction, conseilla aux ouvriers d’imiter leurs camarades anglais, de se cotiser pour aller visiter l’Exposition (2 octobre 61). Quelques ouvriers écrivirent, qu’ils s’engageaient à prendre cette initiative : des abonnés offrirent une souscription. Quelques jours plus tard, le 4, à l’occasion d’une lettre d’Arles-Dufour au Progrès, Pauchet exprimait même le regret que les adhésions les plus nombreuses fussent précisément celles des souscripteurs et non celles des ouvriers. « Il faut, écrivait-il, que la classe ouvrière parisienne s’affirme, si elle veut conserver sur les ouvriers des autres nations cette supériorité qui a jusqu’à ce jour assuré notre suprématie sur tous les marchés ». Nous retrouvons là l’idée initiale des protecteurs des ouvriers.

Quelqu’un jugea bon de répondre. Le 17 octobre, l’Opinion nationale publia la lettre d’un ouvrier, en réponse a l’appel et aux critiques de Pauchet.

« Je crois, comme vous, disait ce correspondant, que les ouvriers de Paris sont intelligents, et pour ma part, je vous remercie de l’opinion que vous avez d’eux. Mais comment concilier cette intelligence avec cette inertie ? Pourquoi ne s’aident-ils pas eux-mêmes ? C’est un reproche qu’on leur adresse souvent et auquel il n’est pas facile de répondre sans accuser.

« Quand l’initiative vient d’en haut, de l’autorité supérieure ou des patrons, elle n’inspire aux ouvriers qu’une médiocre confiance. Ils se sentent ou se croient dirigés, conduits, absorbés et les meilleures tentatives sont rarement couronnées de succès. C’est un fait que je constate sans vouloir discuter ici si les ouvriers ont tort ou raison. — Quand l’initiative vient d’en bas, c’est bien une autre affaire : elle rencontre des impossibilités matérielles auxquelles