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encore sans doute résolu la question sociale, mais il « déclare chaque jour que le but de tous ses efforts est l’amélioration progressive du sort de tous ». Et les auteurs de la brochure ont confiance en lui : il abolira l’odieux article 1781 du Code civil, qui déclare que « le maître est cru sur son affirmation, — pour la quotité des gages, pour le paiement du salaire de l’année échue, — et pour les à-comptes donnés dans l’année courante » ; il établira des Chambres corporatives ; il encouragera le peuple à parler, à dire ses besoins. « Que les travailleurs, nos frères, s’unissent donc à nous, s’écrie Chabaud, pour exprimer ensemble nos vœux et faire connaître nos besoins au chef de l’État, que l’on accuse, à tort sans doute, de ne pas vouloir faire toutes les concessions nécessaires en faveur de la classe ouvrière. Car, enfin, si nous ne faisons pas connaître les choses dont nous souffrons, il faut supposer qu’elles restent ignorées. Il s’agit donc de prendre des mesures pour que notre voix arrive jusqu’à lui ». — Et c’est Coquard qui ajoute : « Il serait à regretter que de nos jours la défiance qui existait autrefois entre le peuple et le pouvoir se continuât : le peuple n’a rien à y gagner, si ce n’est à entraver le gouvernement dans les progrès qu’il veut réaliser ; mais si l’oligarchie bourgeoise pousse le peuple à se défier de son élu, c’est qu’elle voudrait l’amener à se jeter encore une fois dans ses bras à elle, la plus implacable ennemie du peuple et de l’Empereur. Car le peuple veut, comme l’Empereur, que le gouvernement soit non le gouvernement d’un parti, mais le gouvernement de tous ».

C’en est assez de cette littérature : cette première et prétendue manifestation de la classe ouvrière n’est guère faite pour nous réjouir. Les auteurs de ces articles de commande portent la livrée du Palais-Royal. Leur confiance affirmée en la bonne volonté du pouvoir a quelque chose de puéril, et leur « nous sommes tous un peu Empereur » est d’une niaiserie désolante.

Et cependant, il faut être indulgent à ces hommes. La vie était intenable pour la classe ouvrière aux environs de 1860 ; les conditions matérielles atroces ; les soupçons de la police et de l’administration éveillés parle moindre de ses actes ; nul droit de coalition, nul droit d’association ; l’impression constante d’être traités en inférieurs, en parias ! On conçoit bien que certains, au lendemain de la populaire expédition d’Italie, au lendemain des premières mesures libérales, aient consenti à aider le prince Napoléon et ses auxiliaires dans leur politique libérale et démocratique Au demeurant, certains républicains d’alors et des plus notables ne faisaient-ils point de même ? Et oserait-on prétendre que leur excuse, s’ils en peuvent présenter, soit aussi valable ?

Quoi qu’il en soit, ces ouvriers, les premiers, purent parler sans être inquiétés ; et il faut reconnaître qu’ils exprimèrent, en matière sociale, les revendications immédiates du prolétariat d’alors. Mais ils avaient beau habilement arguer des glorieuses interventions extérieures, pour convaincre