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l’action collective est nécessaire ; l’action de résistance est indispensable. Les salaires baissent trop ; la vie est intenable !

Alors, bien souvent sans préparation, sous le coup de la nécessité, parce qu’il n’y a point d’autre moyen, les coalitions, les grèves éclatent, un peu sur tous les points, prenant parfois même un caractère de révolte.

L’administration du Second Empire n’établissait point de statistiques des grèves ; elle n’avait que des dossiers de poursuites. En 1853, les tribunaux jugèrent 109 affaires de coalition ; en 1854, 68 ; en 1855, 168 : c’est, en effet, l’année de l’Exposition, l’année du travail le plus intense, l’année aussi où l’écart entre les salaires et le prix de la vie est le plus grand. En 1856, le nombre des poursuites retombe à 73 ; en 1857, année de la crise, 55 ; en 1858, 53 ; en 1859, 58 ; en 1860, 58 ; en 1861, 63 ; en 1862, 44 ; en 1803, 29 ; en 1864, 21. Ce sont les années de tolérance, avant l’autorisation légale.

Il est certain qu’un nombre notable de coalitions ne donnèrent pas lieu à des poursuites. Suivant M. Cornudet, commissaire du gouvernement, lors de la discussion de la loi de 1864, les poursuites étaient même l’exception. « Tantôt, disait-il, les patrons déclinent l’appui de la loi ; tantôt les magistrats — dans la crainte d’envenimer un conflit — se sont abstenus de toute intervention répressive. » A partir de 1862, surtout, les mesures de clémence, prises par l’Empereur en faveur des grévistes condamnés, inclinèrent au non-lieu la plupart des magistrats.

Les documents recueillis par les enquêteurs de l’Office du Travail, dans leurs quatre volumes de monographies sur les Associations professionnelles, et d’autre part, jusqu’en 1857, les rapports des procureurs généraux, permettent de se rendre compte du caractère de ces grèves et de l’attitude du gouvernement à leur égard, pendant la période de l’Empire autoritaire.

L’administration, quoi qu’en dise M. Cornudet, était toujours disposée à frapper, d’abord parce que la grève était un acte d’indiscipline, de révolte, ensuite et surtout parce que les « ennemis de la paix publique » devaient naturellement saisir ces occasions favorables « pour exciter les masses ». Il n’est guère de coalition, mentionnées pour ces années-là par les auteurs des Associations professionnelles, qui n’ait apporté son lot de poursuites et de condamnations. Dès qu’une grève éclate, les procureurs sont sur les dents : et le ministère les accable de lettres pour avoir des détails, des renseignements plus circonstanciés. Les recherches de notre camarade Pierre Caron aux Archives nationales ne nous ont pas permis de retrouver la série Coalitions, qui fut sûrement constituée (des références l’attestent) au ministère de la justice ; mais les rapports semestriels des procureurs indiquent bien leur état d’esprit.

Ils poursuivent, ils font condamner sans doute, mais ils se rendent compte en même temps de l’inefficacité et souvent de l’injustice de leur intervention. « Dans le mois qui vient de finir, écrivait le procureur de Lyon le 3 juin 1852, on a pu surprendre les traces de cette action d’ensemble des