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Les ouvriers pendant toutes les premières années de l’Empire se trouvèrent aussi entravés, aussi ligottés dans le domaine économique qu’ils l’étaient dans le domaine politique.

Ils avaient éprouvé, de 1848 à 1850, le plus vif enthousiasme pour les associations ouvrières de production ; certains y avaient vu des avantages immédiats, plus d’indépendance, une rétribution plus forte de leur travail : la plupart y avaient vu aussi un moyen d’évincer pacifiquement le patronat. Mais, dans sa haine de tout groupement ouvrier, le gouvernement impérial avait frappé la plupart de ces modestes associations. A Lyon, le maréchal de Castellane les avait supprimées purement et simplement ; ailleurs, on les avait taquinées, tracassées, comme non conformes à l’article 19 du Code de Commerce, et on les avait contraintes de disparaître. Enfin les plus timides, épouvantées, s’étaient dissoutes d’elles-mêmes. En 1855, sur 39 associations parisiennes qui avaient été subventionnées en 1848, 9 seulement existaient encore ; en juin 1863, il n’en restait plus que 3. De 1851 à juin 1863, 8 sociétés seulement avaient été formées. Au prix de quels risques ? on le devine. En 1858, après l’attentat d’Orsini, le gérant d’une association fut arrêté, simplement à cause de son titre. Et c’était en se cachant, dans le bois de Vincennes ou à Montreuil, leurs femmes faisant le guet autour de leur petit conciliabule, que les fondateurs de la Société-mère du Crédit mutuel, société destinée à recueillir le capital d’une future association de production, avaient discuté de leurs statuts, en 1857. D’ailleurs, ce mode d’association n’était point également praticable dans tous les métiers : et les échecs des uns, l’embourgeoisement des autres, devenus petits patrons et exploitant durement leurs auxiliaires, leurs salariés, démontraient que les prolétaires ne pouvaient attendre de ces sociétés un relèvement général de leur classe.

Par l’insuffisance de leurs salaires, par les vicissitudes du commerce, par toute l’évolution industrielle, c’était à une action de résistance, à une action de défense professionnelle, en un mot à l’action syndicale, que les prolétaires de ce temps devaient se trouver poussés.

A vrai dire, cette forme d’action avait été la plus négligée pendant les dernières années. Au moment où les prolétaires espéraient par la République avoir l’égalité sociale, ou, quelques mois plus tard, lorsque les plus ardents pensaient évincer rapidement le patronat, pourquoi se serait-on attardé à défendre les salaires quotidiens ? — Mais la République n’avait pas apporté l’égalité sociale ; les associations de production étaient mortes ; le patronat triomphant élevait sa puissance sur les ruines multipliées des petits ateliers ; il sifflait à l’usine les masses des prolétaires ; et la haute finance dominait l’État. Désormais le prolétariat ne pouvait plus que péniblement défendre sa condition.

Mais comment ? par quels groupements ? Autrefois encore, les compagnonnages, malgré leurs luttes, malgré leur esprit de corps étroit, avaient su défendre les conditions du travail. Or, le machinisme rendait chaque jour