encore peut-être que par des sentiments d’opposition et de lutte que s’exprime alors la conscience de classe du prolétaire parisien. Égalité devant la loi, égalité dans les mœurs, telles sont, nous le verrons, ses formules favorites.
La vie quotidienne des années 50 manifeste constamment cet état d’esprit. Lorsque par exemple, les ouvriers parisiens se sentirent relégués dans les quartiers extérieurs par les transformations de Paris, ils firent entendre d’amères plaintes, ils refusèrent d’être parqués dans des cités ouvrières, dans des logements ouvriers, estimant le régime de ces « casernes » contraire à leur dignité. Et c’est par dignité encore, pour le progrès de leur classe, pour son relèvement moral, que beaucoup se préoccupaient de l’instruction, fondaient ou demandaient des bibliothèques municipales, lisaient le Panthéon des Ouvriers ou la Nation, qu’un éditeur leur offrait en 1858.
Ceux qui connaissent les ouvriers parisiens, savent que, dans certains métiers, tous ces sentiments, toutes ces idées subsistent encore. Elles sont l’exacte expression de l’état industriel de la capitale ; et elles ont de tous temps constitué le bagage d’idées sociales de très nombreux camarades. Il y a là toute une tradition que l’on peut suivre facilement, depuis le règne de Louis-Philippe jusqu’à nos jours, et que tantôt seule, tantôt opposée aux écoles ou aux partis socialistes, on retrouve à toutes les époques. En 1840, c’était de cet esprit bien parisien qu’étaient animés les rédacteurs des petits journaux ouvriers, de l’Atelier, de la Fraternité, de l’Union, de la Ruche populaire, tous ces prolétaires, modérés et fermes, « qui avaient pris la résolution de plaider directement leur cause devant l’opinion publique ». Et ce n’est pas tout à fait un hasard, si c’est un des rédacteurs de l’Atelier, si c’est précisément Corbon qui, en 1863, expose les sentiments et les revendications des travailleurs parisiens. A l’heure où les longs espoirs ni les vastes pensées d’émancipation ne leur étaient plus permis, à l’heure où, la propagande socialiste chômant par force, ils ne pouvaient plus se préoccuper « du côté le plus général des questions », ni « en saisir les aspects grandioses », ni « en élargir les perspectives », selon les définitions de leur goût que donnait Audiganne, ils repensaient plus souvent à leur condition propre, à la figure qu’ils faisaient dans la société, ils prenaient conscience de leur rôle et c’est de cette conscience, récemment prise par beaucoup, qu’ils ont tiré en ces années-là un nouveau principe d’action.
Ainsi, sous une forme ou sous une autre, qu’il se manifestât par une âpre hostilité quotidienne comme dans la fabrique lyonnaise, ou par une fierté corporative traditionnelle, comme chez les ouvriers parisiens, c’était toujours, par un sentiment nouveau de solidarité de classe que se traduisait dans le prolétariat d’alors le développement du capitalisme.
Comment ces sentiments allaient-ils se produire, se manifester ? A quelles formes d’action allaient-ils pousser de préférence la classe ouvrière ? Et dans quelle mesure le régime impérial pouvait-il tolérer ces initiatives ? Ici commence le drame.