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simonniennes simoniennes ou fouriéristes, l’enthousiasme de 1848, et les vicissitudes du communisme. Puis, venant à ce qu’il appelle la seconde phase, il note que la classe ouvrière a gardé de tout ce mouvement la croyance « à la possibilité d’une certaine organisation du Travail » ? (P. 120). Trois systèmes se sont alors produits dans la classe ouvrière, trois systèmes « qui sont, dit Corbon, du socialisme à sa moindre puissance, car ils ne touchent qu’aux conditions du travail manuel, et ri ont guère à voir en dehors des intérêts d’atelier ». Ces trois systèmes sont l’association ouvrière, le droit au travail, et l’institution corporative. Or, des trois « les deux premiers sont venus au peuple par les écoles socialistes. L’idée de réinstituer les corporations est née dans l’atelier parisien même » (p. 121). En 1848 la classe ouvrière s’enthousiasma pour le premier, pour l’association, mais l’enthousiasme ne tarda point à se refroidir ; — le droit au travail garde encore en 1863 une certaine vogue ; — mais « l’idée corporative est celle qui va le plus au cœur des ouvriers parisiens ». Non point qu’ils veuillent réellement rétablir les corporations, abolies par la révolution. — ce n’est là que le désir de théoriciens réactionnaires — mais ce qu’ils expriment, lorsqu’ils regrettent la disparition des corporations, c’est la possibilité de résistance collective, qu’à distance elles leur semblent avoir offerte ; ce qu’ils souhaitent, c’est de pouvoir, ainsi que le note Corbon, défendre leur capital humain » contre une exploitation éhontée. Ils observent que « partout où existe soit un restant d’institution corporative, comme le compagnonnage, soit un certain esprit de corps, une tradition, le salaire se maintient mieux que là où ne subsiste ni compagnonnage, ni tradition, ni esprit de corps » (p. 149). Ils reconnaissent « que l’esprit de résistance a été aussi puissamment conservateur du capital humain et du bon travail que le laisser-faire illimité a été fatal à la capacité et au tempéramment du travailleur ». (p. 150.) Et si quelques-uns, entraînés sur la pente, vont jusqu’à réclamer les anciennes réglementations, la plupart reconnaissent avec Corbon que la mesure, « c’est de s’en tenir à conserver le sentiment de solidarité, comme moyen limitatif de l’application à outrance du système des économistes ».

J’ai tenu à citer ces extraits du livre de Corbon ; ils me semblent bien indiquer l’état d’esprit des travailleurs parisiens aux environs de 1860. Les ouvriers n’ont, je le répète, contre le patronat rien de l’opposition déclarée, rien de la haine juste des canuts lyonnais contre les négociants. Mais ils souffrent, comme tous, de la disproportion des salaires et du prix de la vie ; ils en souffrent matériellement, moralement aussi, par la perte de situations acquises ; et ils cherchent, d’instinct, dans l’union corporative, dans la solidarité professionnelle, un moyen de résistance. À cela s’ajoute que beaucoup d’entre eux, ouvriers qualifiés, fiers de leur travail, fiers de leur art, et ayant de leur rôle d’ouvrier une conception haute et digne, supportent avec impatience la situation inférieure où les tient la loi, et qu’aggrave encore chaque jour l’évolution économique. C’est par un sentiment de dignité, de fierté, plus