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manufactures. Proudhon, Duchêne, quelques autres se sont élevés avec indignation contre l’odieux régime de travail imposé à la classe ouvrière. Et quel esprit indépendant, en effet, pourrait conserver quelque calme à la lecture d’ordres de service ou de règlements du genre de ceux-ci ? » Les poseurs, disait une Compagnie de chemin de fer, seront sur les rails d’une manière continue, du 1er mai au 1er septembre, de cinq heures du matin à sept heures du soir ; les repas pour lesquels on a deux heures (trois pendant les grandes chaleurs) se feront aux moments fixés par un ordre spécial ; les ouvriers seront toujours présents sur la voie, même pendant les repas ou malgré le mauvais temps ». Duchêne relève dans un règlement d’usine 20 cas d’amendes variant de 10 centimes au salaire total de la journée. Il y a des ateliers de femmes « où il est défendu de parler inutilement, c’est-à-dire de choses étrangères au travail ». Lorsqu’éclata la grande grève de Roubaix, on connut le règlement suivant. Il importe de le citer ; il importe qu’on sache quel degré d’absolutisme atteignit en ces années-là la domination patronale.

« Art. 18. — Est passible d’une amende de cinquante centimes :

1° L’ouvrier qui allumera lui-même son bec de gaz ;

2° Celui qui introduira un étranger ;

3° Celui qui nettoiera ou graissera son métier pendant la marche ;

4° Celui dont le métier sera mal nettoyé à la visite du détail ;

5° Celui qui introduira ou boira des liqueurs dans l’atelier ;

6° Celui qui coupera sa pièce avant les marques indiquées.

Art. 19. — Est passible d’une amende de 25 centimes :

1° L’ouvrier qui laissera traîner du déchet hors de son sac ou par terre ;

2° Celui qui se lavera, se coiffera, ou cirera ses souliers à son métier, avant le dernier quart d’heure qui précède la sortie ;

3° Celui qui se trouvera sans permission sur un point où son travail ne l’appelle pas ;

4° Celui qui, à la visite journalière des bacs et baguettes, sera convaincu de malpropreté ».

Le code pénal des patrons s’ajoutait ainsi au code pénal du gouvernement. Et le premier parfois, violait le second, avec impudence. « Ce régime, décoré du nom d’administratif, s’écriait Proudhon, gagne partout, dans les manufactures, dans les forges, jusque dans les imprimeries. La police est organisée dans les ateliers comme dans les villes. Plus de confiance entre les salariés ; plus de communications. Les murs ont des oreilles ».

Mais il ne suffit pas de « tenir » et de surveiller : le gouvernement le sait bien aussi ; aussi veut-il que matériellement la classe ouvrière soit heureuse, que le chômage soit rare, que les salaires soient hauts. Dans quelle mesure son rêve se réalisera-t-il ? Dans quelle mesure tout ce développement industriel assurera-t-il le bien-être au peuple travailleur ? Et pourra-t-on faire que l’absence de préoccupations matérielles l’empêche de réfléchir sur sa condition, et d’y chercher lui-même une amélioration ? Les salaires en un mot