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vingt arrondissements, il en comptait 410.811, mais la statistique de 1860 mentionne en outre 45.028 ouvriers employés dans les établissements publics ou les grandes compagnies, 20.242 façonniers ou sous-entrepreneurs, 62.199 patrons travaillant seuls. En 1847, il y avait 64.816 établissements industriels ; en 1860, 101.171. Dans le bâtiment (on le comprend) le nombre des ouvriers avait presque doublé : il était passé de 41.603 à 71.242.

Le recensement de 1866 a donné un tableau assez exact du Paris industriel d’alors : les industries qui y occupaient le plus de personnes étaient l’habillement, le bâtiment, l’alimentation, la fabrication des objets en métal, celle des objets de luxe et de plaisir. Le nombre moyen des ouvriers par établissement était de 7,7.

La statistique de la Chambre de Commerce de 1860 faisait connaître encore que 7,4 % des établissements occupaient plus de 10 ouvriers, 31,1% en avaient de deux à dix, 61,2 0/0 des patrons n’en avaient qu’un ou travaillaient seuls. L’industrie parisienne était donc en majeure partie composée de petites et moyennes entreprises. Les métiers de luxe, la fabrication des articles de Paris n’étaient pas encore, pour la plupart, envahis par le machinisme ; la concentration industrielle n’exerçait point directement ses ravages sur l’artisanerie parisienne. Mais indirectement, par les répercussions multiples du mouvement capitaliste sur toute la société où il se déploie, par les conséquences, au point de vue des loyers et du prix de la vie, de l’agglomération urbaine, les ouvriers parisiens, plus que d’autres, devaient réfléchir sur leur condition, et inquiéter le gouvernement de leurs ardentes revendications.

Concentration des entreprises ; agglomération des masses ouvrières ; constitution de plus en plus nette de deux classes séparées : d’un grand patronat autoritaire et d’un prolétariat de plus en plus nombreux, telles sont les conséquences accoutumées du développement capitaliste. Les brèves et incomplètes indications que nous avons pu donner permettront de juger avec quelle régularité et quelle intensité elles se manifestèrent pendant le Second Empire.

Ces masses ouvrières, nous l’avons dit, inquiétaient le gouvernement ; elles inquiétaient aussi les patrons. Les procureurs généraux les surveillaient attentivement. Leurs rapports notaient les moindres mouvements d’opinion, les moindres occasions dont les mécontents pouvaient profiter. L’idée régnante dans le patronat, comme dans le gouvernement, c’était qu’il fallait imposer à la classe ouvrière une discipline sévère. Les grands monopoleurs qui rançonnaient le public avec arrogance, commandaient à leurs ouvriers comme à des soldats : et les vieux brisquards, les rengagés de tout acabit, étaient les contre-maîtres préférés des grandes usines, les garde-chiourmes des grandes Compagnies. D’autres se trouvèrent même qui firent surveiller les manufactures par des religieuses. Les règlements d’ateliers étaient draconiens ; et c’est d’eux que souffrait le plus vivement ce prolétariat, hier encore indépendant dans ses ateliers de famille, aujourd’hui enfermé dans les