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dans les grandes villes. La Creuse, par exemple, n’a plus assez de maçons à fournir à Paris.

Jusqu’en 1846, il n’y a jamais eu d’un recensement à l’autre plus de 12 départements, dont la population eût diminué ; de 1846 a 1851, on en compte 22 ; de 1851 à 1860, on en compte 54, 57, et 58. Par contre, de 1840 à 1861, les chefs-lieux d’arrondissement, préfectures et sous-préfectures gagnent 1.712.000 habitants ; et de 1861 à 1870, le mouvement continue. En 1846, il n’y avait avec Paris que quatre villes qui atteignaient le chiffre de 100.000 habitants ; et leur population totale, de 1.540.000 habitants, représentait 4,03 % de la population française. Vingt ans après, la recensement de 1860 enregistrait 8 villes de plus de 100.000 habitants, avec une population de 3.120.000 habitants, soit 8,21 % de la population totale.

C’est l’époque où se caractérisent nettement les grandes régions industrielles, le Nord, la Normandie, le Haut-Rhin, la région lyonnaise et la Loire. L’industrie appelle l’industrie : plus un centre devient important, plus il offre des facilités, pour l’acquisition des matières premières, pour la facilité des communications, pour le recrutement de la main-d’œuvre, plus il appelle les manufactures. Le tisseur, le filateur, le teinturier ne peuvent s’éloigner l’un de l’autre. Souvent même quelques usiniers aux reins solides rassemblent dans leur établissement les travaux préparatoires de leur fabrication initiale : le coton brut en sort toile imprimée, ou la laine en sort un tissu apprêté. Mais les procédés industriels eux-mêmes hâtent le rassemblement géographique des industries. Les hauts-fourneaux abandonnent le voisinage des forêts qui fournissaient le combustible végétal ; ils se rapprochent des mines de houille ou de fer, cependant que d’autres industries abandonnent la force motrice incertaine des cours d’eau et se rapprochent aussi des mines, sources constantes de force pour le machinisme nouveau. De nouveaux pays industriels se créent tout autour des mines, dans les départements de la Meurthe et de la Moselle, par exemple.

Cette agglomération croissante du prolétariat industriel, cet afflux d’éléments nouveaux, venus de toutes parts, souvent même de L’étranger, ne laissent pas d’inquiéter les procureurs généraux. Ils pressentent que dans ces vastes rassemblements de travail et de misère le socialisme ne tardera point à renaître et à grandir.

Mais Paris surtout inquiète le gouvernement, Paris, transformé, embelli, éclairci, et protégé sans doute contre l’émeute, mais où il y a désormais une formidable armée ouvrière, tout un peuple, dont on ne devine que trop « le secret ». Les grands travaux publics dirigés par Haussmann, le développement des fêtes et du luxe, enfin sa position centrale au milieu du réseau des chemins de fer, attirent à Paris toutes les industries. En 1851, il avait 1.277.064 habitants y compris la banlieue à l’intérieur des fortifications ; en 1866, étendu jusqu’aux fortifications, il en avait 1.825.274. En 1847, dans ses douze arrondissements, il renfermait 342.530 ouvriers ; en 1860, dans ses