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enfants dans les manufactures, la concentration du peuple ouvrier dans les grandes entreprises que seuls les négociants où les fabricants déjà riches, munis de forts capitaux, étaient capables de créer.

Mais la concentration industrielle se produisit alors, avec une rapidité inouïe. Tout contribuait à la hâter et à la rendre plus complète ; la multiplicité des découvertes dans tous les domaines, l’extension subite du marché par les chemins de fer, enfin le nouveau régime commercial inauguré en 1860.

Si quelques manufacturiers intelligents s’étaient, en effet, appliqués à réformer leur outillage, beaucoup vivotaient, produisant, pour ainsi dire, juste pour pouvoir vendre au prix du marché intérieur, et encore par une exploitation éhontée de leurs ouvriers. Le libre-échange fit une sélection. Beaucoup de filatures de coton, mal agencées, sombrèrent. Les autres engagèrent des capitaux, transformèrent l’outillage et prospérèrent. La fortune des grandes maisons de Roubaix, qui avaient d’abord gémi de l’importation des étoffes mi-laine de Bradford, data, pour la plupart, de cette époque.

Quant à l’influence des découvertes industrielles, sur la concentration des entreprises, l’industrie métallurgique en fournit un frappant exemple. À mesure qu’on abandonne l’emploi du combustible végétal, et malgré l’augmentation constante de la production, le nombre des hauts-fourneaux diminue. Les hauts-fourneaux au bois rendaient par jour de 3 à 5.000 kilogs de fonte ; en 1867, certains hauts-fourneaux au coke en produisent jusqu’à 50.000. Les petites exploitations ne peuvent alors soutenir la concurrence ; elles cèdent la place aux grandes.

Dès 1865, tout le mouvement s’était déjà en grande partie accompli : la grande industrie, d’après la statistique établie cette année-là, fournissait à peu près la moitié des 12 milliards de francs qui représentaient la production industrielle totale et, sur un chiffre de 3 millions de patrons et d’ouvriers, auxquels on évaluait alors la population industrielle de la France, elle en occupait près de 1.300.000, dont 1.100.000 ouvriers environ.

Une autre conséquence de la révolution économique qui s’accomplit, c’est l’afflux dans les régions industrielles de la main-d’œuvre campagnarde ; c’est l’agglomération de masses nouvelles dans les grands centres. Au fur et à mesure que se perfectionnent les moyens de communications, que les groupes économiques entrent en contact plus direct les uns avec les autres, les campagnards sentent l’effet de l’augmentation des prix et le besoin de plus de numéraire. Ils sont attirés vers la ville, vers les régions à hauts salaires, et d’autant plus que la manufacture, en tuant les industries des domiciles villageois, supprime progressivement les quelques revenus d’appoint qui assuraient leur existence. Puis les grands travaux annoncés, publiés et semés sur tout le pays par le gouvernement impérial, appellent en foule les émigrants saisonniers, et souvent, par leur constance, les retiennent