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nouveau aux élections complémentaires de 1864 par le manifeste des soixante et la candidature du ciseleur Tolain. Petits faits sans doute, dont on parla comme d’anecdotes électorales ou comme de manœuvres policières, mais d’une portée énorme et qu’on ne vit pas tout de suite dans l’histoire socialiste du XIXe siècle ! La classe ouvrière voulait parler, elle-même, sans l’intermédiaire de personnes interposées ; elle voulait imposer ses revendications ; elle voulait dire de nouveau le projet de révolution sociale qu’avec l’aide des penseurs d’avant 48, elle avait formé, conçu, qu’elle avait tenté de réaliser, au prix des plus durs sacrifices, et qu’elle avait depuis décembre, conservé pieusement, jalousement, pour tenter une nouvelle fois sa complète réalisation. De quels limbes surgissait-elle ? Comment avait-elle pu reprendre assez de forces, pour se dresser à nouveau devant l’Empire oppresseur et hypocrite, devant la bourgeoisie même, libérale et exploitrice ?


CHAPITRE IV


QUELQU’UN REPARAIT


La classe ouvrière, décimée en 1852, réduite au silence par la police, et quelquefois hélas ! corrompue et endormie par d’hypocrites bienfaits, vers 1863, s’est reprise à vivre, à penser et à espérer. Un jour, comme subitement, elle a recommencé la lutte pour son émancipation : cette soudaine rentrée en scène vaut certes d’être expliquée. Il nous faut dire tout le travail obscur et long de sentiments et d’idées qui aboutit presqu’en quelques mois à la candidature ouvrière en 1863, à la fondation de l’Internationale en 1864 et à la reconstitution d’un mouvement ouvrier dans le mouvement républicain même.

Nous avons décrit plus haut la condition qui fut faite par l’Empire à la classe ouvrière : la loi des livrets, la loi des prud’hommes, la réglementation des sociétés de secours mutuels, la bienfaisance gouvernementale et les grands travaux publics ; nous avons dit la place qu’on attribua au prolétariat dans l’édifice impérial. Nous avons montré d’autre part, comment dans les grandes villes et dans les régions industrielles les ouvriers demeurèrent obstinément républicains. Il nous reste a marquer comment l’idée, souvent bien effacée et devenue bien vague, de l’émancipation nécessaire continua d’animer beaucoup d’entre eux, pendant ces tristes années ; — et comment un jour, par les effets complexes et lents de circonstances économiques, cette idée se manifesta de nouveau avec force et s’imposa.

Aussi bien était-il impossible que toute l’ardeur d’émancipation qui animait le prolétariat de 1848 eût disparu sans laisser de traces. Il était impossible que ces ouvriers des grands centres, dont les sentiments socialistes avaient été assez précis pour les rattacher naguère à des écoles opposées, eussent soudain oublié tous leurs projets, tous leurs efforts.