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la politique des Cinq, non plus considérée comme un pis-aller, comme l’unique moyen qui restait encore de faire entendre une demi-protestation, mais pratiquée pour elle-même, se suffisant à elle-même, et comme le complément désormais accepté du régime impérial. Que ce fut l’opinion de M. Émile Ollivier, le démocrate assermenté, par excellence, nul n’en doute. Mais notre homme cite ses auteurs. Au lendemain des élections, Rémusat écrivait : « J’oublie le passé pour ne songer qu’au bien public. » — « Les élections, disait de son côté Em. de Girardin, ne veulent pas dire : Renversement de l’édifice pour reconstruire ce qui a été détruit le 24 février 1848 : non. Elles veulent dire : Couronnement de l’édifice. Rien de plus et surtout rien d’autre ». Prévost-Paradol estimait « que les vœux de la majorité des Parisiens n’allaient pas au-delà d’une réforme et de l’élargissement des libertés publiques ». Et c’était enfin Jules Ferry lui-même qui disait : « Malgré les provocations et les imprudences, la question électorale ne s’est pas posée sur le terrain révolutionnaire, l’opposition a partout accepté la constitution et la dynastie ; les minorités n’ont pas voté contre l’Empire. Jamais aspiration plus libérale ne fut plus marquée, plus légale, plus franche ; jamais avertissement plus modéré, plus respectueux ne fut donné au pouvoir ». (Cf. Empire libéral VI, 259-01).

C’est l’impression très nette qui nous semble ressortir tout à la fois de ces textes et des événements : insensiblement, par la force du serment prêté, par l’obligation qu’il imposait coûte que coûte de faire et de ne faire qu’une opposition constitutionnelle, par le rapprochement avec les orléanistes, c’était à l’olliviérisme que les élus de la gauche devaient être entraînés. M. Ollivier a raison ; et ce n’est point — pour une fois — son insupportable orgueil qui lui dicte l’appréciation, les élections de 1863 devaient être le début d’un « Empire libéral », et d’un Empire libéral qui aurait été autrement solide que la misérable construction de 1870.

Comment l’évolution qui s’annonçait ne s’est-elle donc pas accomplie ? ou plutôt comment ne s’est-elle que partiellement produite ? Comment, dans le parti républicain même parlementaire, une opposition vraiment républicaine a-t-elle pu reparaître ? Comment une lutte à outrance contre ce gouvernement, « rétroactivement reconnu légitime par les élus de l’opposition », a-t-elle donc pu être engagée ? Est-ce à Jules Simon que la gauche doit d’avoir rompu avec Émile Ollivier ? Est-ce à un sursaut de conscience du parti républicain que nous devons d’avoir eu, dans les dernières années de l’Empire, une opposition capable de reprendre en sous-œuvre le travail des Cinq, capable de proclamer de nouveau son idéal républicain, capable d’engager cette fois une lutte à mort contre le pouvoir criminel issu de décembre ?

La vraie cause de ce renouveau républicain, après 1863, ce fut l’opposition ouvrière. Elle s’était produite clairement une première fois, par la candidature du typographe J. Blanc contre Havin ; elle allait se produire de