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parlementaires, Odilon Barrot, Rémusat, Dufaure, Montalembert, Casimir-Périer, ne purent venir prendre part aux nouvelles luttes oratoires, et que Thiers, élu à Paris, fut battu à Valenciennes et à Aix. Quelques membres de la gauche avaient cependant été élus en province : Hénon et Jules Favre à Lyon, Marie à Marseille en même temps que Berryer, le normand Havin dans la Manche, Dorian à Saint-Étienne, Magnin dans la Cote-d’Or, Glais-Bizoin dans les Côtes-du-Nord. Et c’était seulement par le vote des morts, dociles à son appel, que l’administration avait fait échouer Lavertujon à Bordeaux.

Dans l’ensemble, sur 9.938.685 inscrits, et 7.262.623 votants, l’opposition avait réuni 1.954.369 voix contre 5.308.254 aux candidats du gouvernement. L’effet moral était peut-être plus grand encore que le succès matériel : les proscrits, toujours ardents à prendre leurs rêves pour la réalité, crurent même que c’était la fin du régime.

Il n’en était rien. On peut même dire que c’était le commencement d’une consolidation. Les historiens nous semblent s’y être trompés. Parce que les élections de 1863 coïncidèrent avec le début du mouvement ouvrier et populaire contre l’Empire, parce que pour le peuple parisien, effectivement, elles marquèrent le commencement de la lutte attendue depuis si longtemps, ils ont cru que ces élections avaient commencé d’ébranler l’Empire, qu’elles étaient « un avertissement grave pour Napoléon III ».

Non, c’est Napoléon III lui-même qui jugea bien en se contentant de condamner la politique de M. de Persigny et de remanier le ministère par les décrets du 23 juin. Persigny relevé de ses fonctions, Morny, le protecteur et l’ami d’Ollivier, remis à la présidence du nouveau Corps législatif, M. Billault ministre d’État, chargé de défendre la politique du maître, au lieu et place des ministres sans portefeuille supprimés, l’inspecteur Victor Duruy, anticlérical et républicain à l’Instruction publique, et l’orléaniste Béhic aux Travaux publics, tels étaient assez exactement les changements que devaient imposer les élections de 1863, et rien davantage.

Lorsque M. Émile Ollivier nous affirme, en effet, que « ce que le peuple de Paris approuva en 1863, ce fut la politique des Cinq…, qu’il voulut, non renverser l’Empire, mais substituer l’Empire libéral à l’Empire autoritaire » {Empire libéral, VI, 261), il est bien certain qu’il se trompe et d’une manière qui sert trop loin son plaidoyer. Le peuple de Paris votait pour les Cinq ou pour Thiers, parce que ce vote lui semblait, électoralement du moins, le meilleur moyen de manifester son hostilité à Badinguet. « Trognon de pomme ou trognon de chou, disait l’un d’eux, je m’en moque ; pourvu que mon bulletin dise clairement opposition, cela me suffit ». Au demeurant, la classe ouvrière n’allait pas tarder à prouver comment elle entendait la lutte contre l’Empire.

Mais il n’en est pas moins vrai que dans le monde bourgeois, dans le monde parlementaire, c’était la politique des Cinq qui tendait à s’imposer,