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quoi il s’élevait, c’était contre le vote « sans protestation ni réserve », contre un vote qui comportait l’acceptation du système, qui précisément donnait au régime impérial, quelque stabilité, en donnant à l’omnipotence du souverain le contre-poids d’une opposition. Ce qu’il voulait, c’était par le bulletin blanc, un non possumus éclatant, un rappel aux principes, fait par le peuple, qui, du même coup, les apprenait, ces principes. « Il s’agit, disait-il dans une page lumineuse, de sauver d’une dégradation imminente, qui ? la nation elle-même, le suffrage universel. Que les élections de 1863 s’accomplissent dans les conditions qui leur sont faites ; que le Corps législatif soit renouvelé, sans protestation ni réserve, par le vote plus ou moins bénévole mais parfaitement insignifiant des citoyens ; que le parti démocratique, impatient de tout principe et de toute conduite, se donne la joie de nommer douze ou quinze orateurs d’opposition, et sanctionne ainsi, par son suffrage contradictoire, ce fatal scrutin : et, je le dis le cœur navré d’amertume, la liberté et la vie politique n’ont plus en France qu’une ressource, c’est que le gouvernement impérial, épouvanté de cette défaillance morale de tout un peuple, convaincu de l’énormité du péril, se décide à rappeler la nation à l’existence, en établissant d’après les vrais principes le suffrage universel, et en s’exposant volontairement à la rage des partis et à la brutalité des masses. »

On a dit de cette brochure qu’elle était une philippique. La philippique se borne au titre. C’est un appel chaleureux, ému. empreint de quelque tristesse, adressé « aux vétérans de la démocratie », aux chefs du parti républicain, qu’il adjure de reformer « le parti de la Révolution » (p. 94).

Mais le peuple était « lancé », comme on le répétait à Proudhon ; et il était peu disposé à comprendre la politique du bulletin blanc. Il cherchait, comme disait Guinard « des bougres capables d’engueuler l’Empire et l’Empereur, et déterminés à se faire empoigner ». Et il se berçait de l’illusion que ses « chefs » seraient ces bougres. Mais d’autres questions préoccupaient ceux-là. Déjà parmi eux s’étaient manifestés « toutes les convictions, tous les appétits, toutes les rancunes », (Pessard. Mes petits papiers, I. 72.)

C’est un monde qu’une période électorale. Qu’il nous suffise de noter à grands traits les questions qui se posèrent, pendant celle de 1863.

Elle démontra, dès l’abord, avec éclat, la fausseté du calcul impérial. Napoléon III avait espère dresser l’une contre l’autre les oppositions : il avait espéré démontrer aux Français l’utilité de son pouvoir, la nécessité de son absolutisme, en laissant se manifester les excès catholiques ou les excès libéraux. Il n’avait réussi qu’à ranimer chez tous le désir de plus de liberté, de plus de puissance. Il s’était imaginé qu’il suffirait aux partis d’exprimer leurs idées pour qu’ils s’accordassent tous à accepter son pouvoir. Et il est défait qu’auprès de certains républicains, il était en voir de réussir. Mais la discussion parlementaire n’a de prix que si elle s’accompagne de puissance. Les partis réveillés ne pouvaient se contenter d’une apparence ; ils allaient