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d’opposition de Curé, qui depuis… En 1860, par son appui et contre la préfecture, elle avait fait entrer au Conseil municipal dix-huit républicains. Et elle s’apprêtait à mener une fière bataille pour les élections de 1863.

A Lyon aussi, et à Marseille, dans les deux grandes cités, si inertes en 1852, quelque vie reparaissait. A Lyon, si le Progrès était bien timide, bien lâche même devant le pouvoir, par de petites réunions, par le colportage, les amis d’Hénon augmentaient leur nombre, et obtenaient des ouvriers un concours de plus en plus efficace. A Marseille, au café Cardinal, au café de Paris, à l’Athénée méridional, de petits groupes se réunissaient : des professeurs, des ouvriers, des avocats, des banquiers mêmes s’y retrouvaient ; ils s’appelaient Brochier, Crémieux, Étienne, Delpech, Gustave Naquet, Grimanelli et aussi Bastelica. le socialiste.

Mais si, dans d’autres villes encore, comme à Dunkerque, on trouvait quelques petits noyaux, était-il possible de se leurrer ? Et ne savait-on pas, par les correspondances, par les relations qu’on essayait de renouer que beaucoup de vieux et fidèles républicains, aigris, découragés, sans espoir, considéraient encore l’abstention, comme la seule protestation digne ?

Les élections de 1863 approchaient ; les dirigeants du parti républicain résolurent de faire un grand effort pour amener le parti tout entier à renoncer à l’abstention. L’homme universellement honoré et estimé qu’était Garnier-Pagès se chargea de faire dans ce but une immense tournée de propagande : il parcourut les départements, du Nord aux Alpes-Maritimes, visita plus de soixante villes, rendit courage aux timides, concilia les oppositions, et très souvent décida à voter, à agir.

L’idée abstentionniste, cependant ne disparut point ; mais elle changea de signification. A côté de quelques obstinés de J848, comme Jules Bastide, à côté des exilés, de Victor Hugo, de Charras, elle avait pour avocats ardents Proudhon et ses disciples comme Chaudey et Duchêne. Pendant la période électorale, ils publièrent des manifestes, des lettres aux journaux, le tout peu lu, peu remarqué. Mais sur le tard, la brochure de Proudhon sur les Démocrates assermentés et les réfractaires, donna à cette thèse quelque illustration.

Des historiens l’ont sévèrement condamnée. M. Georges Weill, dont les ouvrages sur le Parti républicain ou le Mouvement social en France se signalent autant par l’effort d’impartialité qu’ils révèlent que par une abondante documentation, se départit presque de son habituelle objectivité, quand il parle de cette attitude. « Par une étrange bizarrerie, dit-il, ce publiciste indifférent aux formes politiques, en bons termes avec le prince Napoléon et Girardin, trouvait déshonorante la politique modérée des Cinq et ne voulait point qu’on prêtât serment ; peut-être est-ce uniquement l’esprit de contradiction qui le poussait ». C’est vite dit. J’avoue quant à moi n’avoir senti dans cette brochure, tout entière écrite à la gloire du suffrage universel, une indifférence politique quelconque ; et si la politique de Proudhon n’avait