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Vers le même temps aussi, en 1861, Germain Casse, un créole révolutionnaire, avait fondé le Travail. Des étudiants en médecine et en droit s’y occupaient d’histoire ou de critique littéraire : un certain Jules Méline y célébrait Quinet ; un certain Georges Clemenceau disait son admiration pour Michelet, historien révolutionnaire ; cependant qu’un autre jeune encore, appelé Émile Zola, en des vers rudes et incolores, mais pleins d’allure, faisait appel à l’énergie de ses contemporains :


Oh ! courage, mon siècle, avance, avance encore !


A côté d’eux, Rogeard s’essayait aux mots de César, avant d’écrire les Propos de Labiénus, et Pierre Denis chantait l’avenir. Celui du Travail fut vite brisé. Il paraissait quand il pouvait : l’Empire trouva que c’était trop souvent. L’arrestation de ses rédacteurs amena sa fin, au bout de trois mois.

C’était au même temps encore que, sous la direction de Laurent Pichat, paraissait la Réforme littéraire.

Mais toute cette jeunesse lettrée, même soutenue et encouragée par la petite bourgeoisie ou la classe ouvrière parisienne, n’était point la France. La province se réveillerait-elle, aiderait-elle dans les luttes prochaines ? là était une grave question. Des campagnards, ignorants et isolés, n’apprenant les événements que par les images d’Épinal répandues à profusion dans les villages, on ne pouvait rien attendre. Les quelques-uns qui avaient commencé naguère l’éducation politique de leurs voisins, avaient été proscrits, emprisonnés, en 51, en 52, en 58. Quant aux sentiments de la masse, la description que faisait C. de Witt de l’opinion publique normande, lors de la guerre d’Italie, en donne une idée exacte : « Ceux qui ont des chevaux à vendre, disait-il, sont pour la guerre ; ceux qui ont des fils à l’armée sont pour la paix, ceux qui n’ont ni l’un ni l’autre sont indifférents ; et les quelques paysans qui s’occupent de politique sont socialistes ». A peu de chose près, c’était, peut-on dire, la note générale.

Mais, dans les villes, en dépit de toutes les proscriptions, en dépit surtout des petites persécutions quotidiennes dont le résultat le plus clair était de réduire à la famine l’adversaire politique, les petits groupes qui perpétuaient depuis plus d’un demi-siècle la vie républicaine n’avaient pu être extirpés. Toujours, autour d’un médecin, d’un notaire, ou d’un journaliste, ils se reconstituaient : à Quiévrain, autour du Dr Quinet ; à Alençon, autour du Dr Chambay ; à Nantes, autour du bon philosophe, du socialiste humanitaire qu’était le Dr Guépin. C’était à Nantes, d’ailleurs, qu’avait vécu depuis 1852, le plus décidé, le plus vigoureux des journaux républicains d’alors, le Phare de la Loire, dirigé par les frères Mangin, et auquel collaboraient des littérateurs illustres, comme Michelet et Quinet, ou des jeunes comme Chassin et Brisson.

A Bordeaux, la Gironde, avec Lavertujonet Gounouilhou, menait la même lutte, avec autant de succès. En 1857, elle avait fait triompher la candidature