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la Révolution et dans l’Église ; et son proudhonisme était tel qu’il éloignait de lui les prosélytes saint-simoniens. Son génie ne le prédisposait pas à être l’homme d’un système, d’une idée. Mais il faut admirer décidément cet opportunisme supérieur, fait de conscience et d’étude. Il lisait énormément, et partout il s’informait. Les premiers tressaillements de la classe ouvrière parisienne étaient perçus par lui et ne l’inquiétaient point. Il n’eut jamais comme tant de républicains, comme Picard même, la hantise du spectre rouge. Il fut de ceux qui comprirent plus tard la nécessité d’une politique révolutionnaire : et la poussée populaire, indispensable pour soutenir cette politique, ne l’épouvanta point. Il y a dans son premier plaidoyer, celui qu’il prononça pour le mécanicien Buette, accusé de société secrète, bien des phrases intelligentes sur la condition ouvrière. Et il fut de ceux qui en 1803 soutinrent la première candidature ouvrière. Il soutenait sans doute au même moment l’orléaniste Prévost-Paradol. Mais combien soutenaient celui-ci qui n’auraient point consenti seulement à aider l’autre ?

Force nous est, dans ce trop court récit de dix-huit années, et où nous voulons d’ailleurs réserver toujours le meilleur de nos pages à l’action prolétarienne, de passer rapidement sur la vie intense et l’activité de tout le jeune parti républicain. Il faut la signaler pourtant.

Ce fut, dans ces années-là, de 1850 à 1803, que le quartier Latin se réveilla, que toute la jeunesse lettrée, parallèlement à la jeunesse ouvrière, se passionna pour les questions politiques. A côté des élèves parlementaires qui entouraient les Cinq, il y avait dans les rangs républicains, des révolutionnaires, des ardents, qui commençaient d’écrire ou d’agir.

En prison, à Paris, Blanqui, libéré en 1859, réenfermé en 1801, formait des élèves, des auxiliaires ; et Gambetta n’était point seul à lire Proudhon. Le vieux maître avait de nombreux admirateurs, des disciples plus ou moins indépendants, mais pleins de vie, désireux d’action. De tous nous aurons à reparler.

Mais ce serait, croyons-nous, une erreur de tenter de définir, avant 1803, des limites exactes entre les différents groupes. Dans les tableaux qu’on a faits, de l’activité républicaine d’alors, on n’a pas, selon nous, tenu assez de compte des dates, et M. Tchernoff lui-même, le plus complet et le plus neuf des historiens qui se sont occupés du parti républicain sous l’Empire, n’est point celui qui a le mieux évité cette faute.

C’est de la fin de 1863 et des années suivantes seulement que date l’opposition des traditions diverses. C’est sous l’influence du mouvement ouvrier qu’une fois encore les républicains ont eu à définir leurs attitudes particulières : or le mouvement ouvrier n’a révélé quelque force qu’à la fin de 1803. Et de même, il le faut bien marquer, c’est après les élections de 1863 seulement, c’est de 1863 à 1866 surtout, que, pour les mêmes raisons, les diverses formes de l’action républicaine se sont développées. C’est d’alors que datent les études sur la Révolution française, par lesquelles chaque groupe a recher-