Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/163

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le monde financier s’inquiétait ; M. Fould se fit l’écho de ces inquiétudes. Dans un mémoire particulier a l’Empereur il démontra que le droit du Corps législatif à voter l’impôt était un droit illusoire et qu’un contrôle s’exerçant dix-huit mois après qu’une dépense avait été faite n’était qu’une pure fiction. Et il en était de même de la discussion du budget, si, en dépit des réductions consenties ou imposées, le gouvernement augmentait les dépenses après la session. En matière budgétaire comme en matière de politique extérieure, le gouvernement était donc seul maître : les embarras de l’heure présente le faisaient souvenir qu’il était seul responsable. « En rendant au Corps législatif, concluait M. Fould, ses attributions les plus incontestables, l’Empereur le solidariserait avec son gouvernement… » C’était l’idée inspiratrice du décret du 24 novembre 1860 que M. Fould rappelait. De même qu’en politique extérieure, Napoléon III avait voulu associer la nation à sa responsabilité ; de même en 1861, il voulait lui faire partager la responsabilité des embarras financiers où sa politique de gloire extérieure et de lustre intérieur devait fatalement le conduire. Les responsabilités sont toujours lourdes : il était naïf de supposer que les partis se laisseraient prendre à ce calcul un peu grossier. Les images d’Épinal ne suffiraient point cette fois à convaincre la nation. Il en fut de la réforme financière comme de l’autre : elle ne profita qu’à l’opposition.

Par la lettre du 14 novembre 1801, l’Empereur déclara qu’il renonçait à la faculté d’ouvrir des crédits en l’absence des Chambres et au vote du budget par ministères. M. Fould fut appelé au ministère des finances. Le 1er décembre, il apparut presque que le ministre des finances devenait un premier ministre. Un décret fixa en effet qu’« aucun décret autorisant ou ordonnant des travaux ou des mesures quelconques, pouvant avoir pour effet d’ajouter aux charges budgétaires, ne serait soumis à la signature de l’Empereur, qu’accompagné de l’avis du ministre des finances ». Mais toute cette réforme n’était qu’illusoire : le Corps législatif ne votait plus par ministère ; mais il votait encore par sections, divisées en chapitres ; et le droit du gouvernement d’opérer des virements d’un chapitre à un autre, ou même d’une section à l’autre équivalait encore au droit d’ouvrir des crédits extraordinaires et supplémentaires. Enfin l’Empereur souverainement pouvait toujours ordonner de grandes et coûteuses entreprises de travaux publics.

Il n’importe cependant ! Comme les décrets de novembre, la réforme financière allait réveiller le goût du contrôle et de la liberté. Dans la session de 1862, les questions budgétaires furent sans cesse au premier plan. Le gouvernement proposant de conférer au général Cousin-Montauban. pour sa brillante expédition de Chine une dotation annuelle de 50.000 francs, la commission conclut avec fermeté contre le projet, et par une lettre l’Empereur le retira.

C’est ainsi qu’au milieu des événements quotidiens de la politique extérieure, ou à l’occasion des discussions budgétaires, l’esprit libéral se mani-