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Lorsqu’il estimait qu’elles allaient trop loin, il les arrêtait par ses communiqués, par ses avertissements, par ses circulaires. Et ainsi, il les mécontentait également toutes : il les tournait également toutes contre un régime qui ne leur permettait point de se dépenser librement.

Dans les véhéments débats que provoquait la discussion de l’adresse, on entendait maintenant d’anciens partisans du régime de contrainte et de force, issu du 2 Décembre, réclamer des libertés, dont ils sentaient cette fois enfin la privation. M. Ségur d’Aguesseau, celui-là même qui traitait M. de Persigny de Polignac, se plaignait des entraves apportées à la liberté de la presse catholique. M. de La Rochejacquelein, M. Plichon, dénonçaient « une certaine presse » — entendez le Siècle et l’Opinion nationale, — comme responsable du réveil des passions de 1848, alors que la presse religieuse et conservatrice ne pouvait vivre qu’à la condition de tout approuver. Mais ils ne demandaient plus seulement un changement de bascule : eux aussi, ils réclamaient la liberté.

Ce fut de 1861 à 1863, et dans les milieux les plus divers, dans les salons orléanistes, dans la bourgeoisie républicaine, même chez des bonapartistes démocrates, tout un mouvement de libéralisme. Tous s’unissaient pour réclamer du gouvernement des garanties, des libertés nouvelles. C’étaient les budgétaires, les députés tout dévoués à l’Empire, mais soucieux de le voir bien administrer son patrimoine, qui réclamaient quelques réformes dans la gestion financière, et quelques garanties, lors du vote du budget.

C’était le sarcastique et fin marquis de Pierre, qui dénonçait dans ses discours d’un atticisme un peu rude, l’incohérence des responsabilités dans un gouvernement où l’Empereur « désavoue officiellement une politique et la propage ensuite par le télégraphe », où le Moniteur publie le cri d’alarme de M. Fould sur l’état des finances, tandis que la Revue des Deux-Mondes est blâmée pour élever seulement quelques doutes sur ce même état financier ». C’étaient enfin les protectionnistes, demandant d’être garantis contre cette souveraine puissance, qui disposait à son gré, et contre leurs intérêts particuliers, des tarifs douaniers et des transactions commerciales.

Toutes ces oppositions, plus ou moins vives, plus ou moins hostiles au régime, se sentaient également contenues, réfrénées. Et elles aspiraient également à de nouvelles réformes.

En 1861, les budgétaires obtinrent gain de cause. Les expéditions lointaines, celle de Chine, celle de Syrie, — sans compter les grandes guerres d’Italie et de Crimée, — coûtaient cher. Les grands travaux aussi coûtaient cher. Et les recettes ne s’accroissaient pas proportionnellement aux dépenses. Deux milliards quatre cents millions de crédits extraordinaires avaient été ouverts de 1851 à 1858. Dans les trois dernières années, la dette publique et les découverts du Trésor s’étaient accrus de 400 millions de crédits extraordinaires. Le déficit annuel était en moyenne de cent millions. A la fin de 1861, le découvert s’élevait à près d’un milliard.