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rêts dynastiques primaient toujours les intérêts français, où les calculs mesquins alternaient avec les sublimes déclarations, n’éclata comme en ces quatre années de 59 à 63, où l’Empire gâchait à plaisir, par ses interventions incohérentes et maladroites, la situation exceptionnelle que lui avaient donnée le Congrès de Paris et même encore la guerre de 1859.

Un jour, cependant, et à la veille même des élections de 1863, les événements fournirent à l’Empereur une extraordinaire occasion de rallier a lui tous les partis.

Les réformes qu’Alexandre II en 1861 avait dû accorder à son peuple, et surtout le retentissant affranchissement des serfs, avaient eu une répercussion dans toutes les contrées de l’immense Empire. En Pologne surtout, un mouvement se dessinait en faveur des réformes, mais, contre la volonté de certains nobles, le peuple ne concevait point de réformes possibles, sans la restitution de son autonomie nationale. C’est ainsi qu’au cours du XIXe siècle, les revendications nationales et les revendications sociales se sont toujours trouvées mêlées et confondues, dans les grands mouvements des peuples opprimés. Le gouvernement russe et quelques aristocrates polonais tentèrent pendant un an (mai 1861, mai 1802), de séparer les deux mouvements. Ce fut en vain. Lorsqu’en janvier 1803, les jeunes gens des villes, suspects d’entretenir l’agitation nationale, furent appelés dans l’armée russe, une insurrection générale éclata.

Pour une fois l’opinion française se trouva unanime. L’héroïsme des insurgés défraya pendant des mois les conversations, les journaux, même les cours de Sorbonne. Pour les catholiques, la défense de cette nation martyre de sa foi s’imposait. Pour les démocrates, la cause de la Pologne était un dogme : qui ne se souvenait de tous les proscrits qui avaient pris part, a Paris même, aux combats révolutionnaires ? Les hommes de traditions, les conservateurs mêmes rappelaient le rôle historique de la Pologne, alliée fidèle de la France contre l’Autrichien ou le Moscovite. Le Siècle était d’accord avec le Monde ; l’Impératrice avec le Prince. Le rêve de l’Empereur était réalisé : il n’avait qu’à intervenir en Pologne ; et il allait être enfin l’Empereur populaire, l’Empereur national, qu’il rêvait d’être.

Il n’osa point, et il est de fait qu’entre l’Angleterre, au fond malveillante, et l’Autriche, autrefois complice et bénéficiaire du démembrement polonais, en face de la Prusse qui dès le 18 février offrait le concours de ses troupes au tsar contre les insurgés, il fallait être prudent. L’intervention, certainement, eût déchaîné contre le Napoléon une nouvelle coalition européenne. Mais alors, il ne fallait point intriguer dans les diverses cours, offrir à l’Autriche en Pologne la reconstitution d’un royaume indépendant gouverné par un archiduc, et l’offrir en compensation de la Vénétie qu’elle abandonnerait à l’Italie. Surtout, il ne fallait point se laisser duper par l’Angleterre, qui jouait facilement au libéralisme, en Pologne comme en Italie, et qui, après avoir entraîné la France dans une démarche hautaine, qui la brouillait