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Hélas ! cette politique « si sage, si modérée » devait encore une fois, pour le malheur de la France, se laisser dérouter par les événements. Entre les sollicitations de ses entourages, l’Empereur n’avait point la fermeté nécessaire pour poursuivre longtemps une politique quelconque. Et ses relations avec les partis le préoccupaient trop pour qu’il se fît des choses une idée nette et indépendante.

Depuis mais 1862, il avait essayé avec Victor-Emmanuel et son ministre affectionné Rattazzi d’arracher au pape un modus vivendi portant que le statu quo territorial serait maintenu ; et que le pape garderait Rome mais accorderait à ses sujets des réformes en rapport avec l’esprit moderne. C’était en vain. Antonelli, le ministre pontifical, avait répondu par un refus catégorique ; et Pie IX, déjà, anathématisait les principes modernes. Napoléon III, irrité, redoublait de complaisances pour le royaume italien : il obtenait de la Russie sa reconnaissance officielle (juin 1862).

Il suffit d’une poussée nouvelle de l’unitarisme italien pour que l’inconstant Empereur fit encore une fois volte-face. En juillet, brusquement Garibaldi débarquait en Sicile ; ses partisans fanatiques multipliaient les manifestations mystiques, criaient : « Rome ou la mort ! » Et leur troupe marchait sur la capitale désirée du peuple italien. C’était le gouvernement italien lui-même, c’étaient les troupes de Cialdini qui l’arrêtaient, au prix d’une bataille, à Aspromonte (août 1862). Mais le gouvernement, fort de la correction avec laquelle il venait de se conduire, déclarait à l’Europe « que la nation tout entière demandait sa capitale, et que l’état de choses actuel, devenu intolérable, finirait par avoir pour le gouvernement du roi des conséquences extrêmes, qui compromettraient de la manière la plus grave la tranquillité de l’Europe et les intérêts de la catholicité » (10 septembre 1862).

L’Angleterre applaudissait ; l’Autriche s’inquiétait. Napoléon III allait-il décidément sauter le pas, s’engager résolument, en dépit des criailleries catholiques, dans la voie libérale ? Le prince Napoléon et ses amis l’en pressaient vivement. Ce furent Walewski et l’Impératrice qui l’emportèrent.

Il y avait déjà des mois que le ministre des Affaires étrangères, M. Thouvenel, partisan de la fin de l’occupation romaine, devait se défendre contre cette influence. Entre l’Empereur libéral et l’Impératrice catholique sa tâche était plutôt pénible. « Les Tuileries lui donnaient plus de besogne que toute l’Europe ». Un voyage des souverains à Biarritz assura le triomphe de l’Impératrice. Elle avait évoqué dans l’imagination impériale l’approche des élections de 1863 ; elle lui avait montré les catholiques de plus en plus inquiets et hostiles. Dans l’espoir de les rallier, l’Empereur avait cédé. En octobre 1862, M. Thouvenel était congédié ; M. Benedetti était rappelé de Turin, M. La Valette de Rome ; et M. Drouin de Lhuys, le ministre agréable au Saint-Siège, reprenait le portefeuille des Affaires étrangères. Il signifiait à Turin qu’il n’entendait donner pour le moment aucune suite aux proposi-