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les destinées de la France et la grandeur de son autorité étaient subordonnées aux chances d’avenir des États catholiques en général et de la race latine en particulier ». Cette fois, libéraux et catholiques allaient se trouver unis : la question italienne serait résolue.

Tels furent les rêves insensés qui entraînèrent les Tuileries en cette fin de 1861. Les conseillers les plus sagaces n’esquissaient point d’opposition, pas même M. de Morny. On soupçonnait et l’on a su depuis la raison de l’ardeur mexicaine de ce dernier : les papiers saisis aux Tuileries ont révélé que le plus fort créancier… français, Jecker, le banquier suisse failli, dont la créance nominale sur le Mexique s’élevait, à la suite d’une émission de bons, à 75 millions de piastres, avait comme patron ou comme associé l’illustre président du Corps législatif. et « l’associé » avait stipulé qu’il aurait 30 0/0 dans les bénéfices de l’opération. À ce prix, Jecker fut parfaitement soutenu. Les trafiquants d’affaires et les mégalomanes politiques s’entendaient à merveille pour pousser la France aux aventures. Nous en avons connu depuis quelques autres exemples fameux ; et le dernier n’est pas bien vieux.

Pour le malheur de la dynastie napoléonienne, l’expédient ne réussit pas ; l’Empire allait traîner comme un boulet, pendant des années, cette lamentable aventure.

La convention de Londres avait été rapidement réduite à néant ; l’annonce de la créance Jecker, les menées du plénipotentiaire français M. de Saligny, la dénonciation par le gouvernement impérial du premier traité passé par les commissaires avec le gouvernement de Juarez, enfin la présence du mexicain monarchiste Almonte dans les troupes françaises, présence qui révélait déjà les intentions de la France, avaient amené la rupture entre les alliés. Les troupes anglaises et espagnoles s’étaient rembarquées (mars 1802). « L’affaire est mal engagée, écrivait alors M. de Thouvenel, mais il n’est plus possible de s’arrêter à mi-chemin ». Le fameux parti monarchique qu’on avait cru trouver au Mexique n’existait pas ; les Mexicains étaient unanimes contre l’intervention européenne ; les Espagnols s’étaient retirés de la lutte. Les Latins se dérobaient à l’appel de la France, cependant que les catholiques ne trouvant pas là de compensations utiles à la politique anti-pontificale menée en Italie, ne désarmaient pas. Les 6.000 hommes de troupes françaises demeuraient, au milieu de 1862, isolées au Mexique, et le « pauvre Empereur hochait tristement la tête ».

Mais ce n’était là encore, au moins à cette époque, que les moindres de ses embarras. Toujours, à tout instant, depuis 1860, la question italienne revenait au premier plan des préoccupations des partis. Napoléon avait beau tenter de satisfaire les catholiques en Syrie et en Chine ; les libéraux en Roumanie et en Serbie ; les Latins et les catholiques, tout ensemble, au Mexique. Le problème romain revenait sans cesse, par quelque péripétie, provoquer de nouvelles passions, susciter de nouveaux embarras.