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c’est à peine si dans les dernières années, deux partis enfin se distinguaient nettement et combattaient pour des idées ; on avait désormais des conservateurs cléricaux, partisans de la domination de l’Église, des libéraux, guidés par des créoles mais aussi déjà par des Indiens qui s’étaient instruits, comme Benito Juarez. En 1856, les libéraux avaient triomphé avec Comonfort et Juarez, et inauguré quelques réformes ; ils avaient sécularisé les biens du clergé, expulsé les Jésuites, décrété la laïcité de l’état-civil et du mariage. Cléricaux et conservateurs avaient répondu par une insurrection ; Miramon et Zuloaga, leurs chefs, s’étaient emparés de Mexico et de la présidence. Mais le vice-président, Juarez, l’Indien, tenait bon, et de 1859 à 1861, il parvint à reprendre le pouvoir.

Ce fut cette lutte civile qui donna à l’Europe l’occasion d’intervenir. Au milieu des révolutions successives, les nationaux européens subissaient des vexations de toutes natures : leurs plaintes encombraient les dossiers des consulats ; les Conventions étrangères, les reconnaissances de créances qu’obtenaient les différentes nations demeuraient toujours lettre-morte ou à peu près. En 1861, ces difficultés étaient au comble : par une loi, votée par le Congrès et sanctionnée par le président 17 juillet 1861 le paiement des dettes inscrites dans les Conventions étrangères, fut suspendu pour deux ans. Les cabinets de Londres, de Paris, de Madrid, étaient décidés à faire rendre justice à leurs nationaux. Le 31 octobre, les trois États, par la Convention de Londres, décidaient une intervention pour exiger une protection efficace des résidents européens et poursuivre l’exécution des obligations financières acceptées.

Mais, tandis que l’Angleterre ne voulait faire qu’une expédition profitable et lorgnait du coin de l’œil les douanes mexicaines, tandis que l’Espagne, tout en rêvant parfois de rétablir là un prince de sa maison, se résignait à suivre le mouvement anglais, les imaginations des gouvernants français entraient en branle. Les émigrés mexicains fréquentaient les Tuileries : ils parlaient la langue de l’Impératrice, et ils parlaient selon son cœur. Conservateurs et monarchistes, ils avaient droit à ses sympathies, et elle rêvait avec eux de restaurer au Mexique la domination de l’Église. Mais l’Empereur, lui aussi, l’ancien prisonnier de Ham qui avait projeté jadis le percement de l’isthme du Nicaragua, désirait affirmer au Mexique la puissance de la France, directrice autorisée de la race latine. « Tôt ou tard, disait déjà en 1860, un de ses représentants, M. de Gabiac, l’Europe devra se préoccuper du Mexique. Aux frontières du Mexique et là seulement, l’Europe pourra arrêter dans son mouvement d’expansion le peuple des États-Unis, qui, si on n’y prend garde, est appelé à couvrir l’Amérique, puis le monde entier ». Croisade catholique et guerre d’expansion latine, l’expédition du Mexique allait, dans la pensée de Napoléon, réconcilier toutes les passions françaises, unir dans un même effort sa politique et celle de sa femme. Son ami Michel Chevalier expliquait cette grande pensée du règne, montrait « que