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Il apparut, pendant ces premiers jours de la guerre d’Italie, que la politique du prince Napoléon l’emportait, que l’Empire se ferait plus indulgent aux libéraux, et l’on put croire que les républicains se rallieraient. Le Siècle soutenait vigoureusement la politique d’intervention ; dans toute une série d’articles, Pelletan défendait la cause des peuples opprimés. Et les ouvriers parisiens commençaient à s’enthousiasmer pour la guerre. Le 10 mai 1859, ce fut au milieu d’acclamations que Napoléon III, quittant Paris pour aller prendre le commandement de l’armée d’Italie, traversa les quartiers populaires, où l’Empire, cependant, avait tant d’ennemis.

La campagne d’Italie dura quelques semaines. Le 31 mai, les Autrichiens étaient battus par les Franco-Piémontais à Palestro ; le 4 juin, à Magenta, après une journée incertaine et qui faillit être une défaite, l’arrivée de Mac-Mahon sur la droite de l’ennemi donnait à l’Empereur une nouvelle victoire. Le 8, il entrait à Milan avec Victor-Emmanuel, et dans une proclamation enthousiaste, faisait appel au patriotisme italien. « Unissez-vous, criait-il à tous les habitants de la péninsule, unissez-vous dans un seul but, l’affranchissement de votre pays… Animés du feu sacré de la patrie, ne soyez aujourd’hui que soldats ; demain, vous serez citoyens libres d’un grand pays ». L’Italie l’entendit : quelques jours plus tard, l’Empereur constatait avec stupeur que toute l’Italie du centre soulevée réclamait non point une confédération, mais l’unité italienne. La Toscane, Parme, Modène avaient chassé leurs princes ; les Légations secouaient la domination pontificale. Et partout, les pouvoirs étaient exercés par des agents de Cavour. C’était, à brève échéance, l’annexion au Piémont.

Ce fut alors, pour l’homme d’intrigues et de petits calculs, qu’était l’Empereur des Français, quelques semaines d’atroce inquiétude. Napoléon III avait espéré, par cette guerre d’Italie, satisfaire à la fois les libéraux et les catholiques ; il avait promis aux uns, par sa proclamation du 3 mai, l’Italie libre jusqu’à l’Adriatique ; il avait assuré aux autres que la papauté serait respectée, qu’elle présiderait à la Confédération de l’Italie affranchie, dont la France serait la protectrice aimée. Et il voyait maintenant l’Italie révolutionnaire, tout entière debout pour l’unité. De France, l’Impératrice et Walewski lui télégraphiaient l’inquiétude des catholiques, des classes riches et des populations rurales émues par la propagande du clergé. Surtout de redoutables complications étaient à craindre sur le Rhin ; le réveil du patriotisme italien avait eu pour contrecoup un réveil du patriotisme allemand, habilement excité d’ailleurs par la Prusse. Les ambitions prussiennes avaient intérêt à gagner la confiance du patriotisme germanique : après Magenta, le prince-régent mobilisait six corps d’armée et se préparait à la guerre sur le Rhin. L’entreprise italienne allait avoir pour conséquence une immense conflagration européenne, si l’Empereur ne reculait point.

Cependant la chaleur, les insomnies, les mauvais bivouacs multipliaient