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voir la publicité donnée aux débats, à la plaidoirie de Jules Favre, et de lire dans cette plaidoirie la lettre de repentir adressée par l’accusé à l’Empereur comme un appel suprême à la délivrance de l’Italie.

Prêt à la mort, le patriote italien, le militant de 1848, l’homme reste fidèle à son serment, déclarait vouloir encore servir sa patrie.

Près de la fin de ma carrière, disait-il, je veux néanmoins tenter un dernier effort pour venir en aide à l’Italie, dont l’indépendance m’a fait jusqu’à ce jour traverser tous les périls, aller au-devant de tous les sacrifiées. Elle fait l’objet constant de toutes mes affections, et c’est cette dernière pensée que je veux déposer dans les paroles que j’adresse à Votre Majesté.

Pour maintenir l’équilibre actuel de l’Europe, il faut rendre l’Italie indépendante ou resserrer les chaînes sous lesquelles l’Autriche la tient en esclavage. Demanderai-je pour sa délivrance que le sang des Français soit répandu pour les Italiens ? Non, je ne vais pas jusque là. L’Italie demande que la France n’intervienne pas contre elle ; elle demande que la France ne permette pas à l’Allemagne d’appuyer l’Autriche dans les luttes qui peut-être vont bientôt s’engager. Or, c’est précisément ce que Votre Majesté peut faire, si elle le veut ; de cette volonté donc dépend le bien-être ou le malheur de ma patrie, la vie ou la mort d’une nation à qui l’Europe est en grande partie redevable de sa civilisation…

Que Votre Majesté ne repousse pas le vœu suprême d’un patriote sur les marches de l’échafaud ; qu’elle délivre ma patrie, et les bénédictions de 25 millions de citoyens la suivront dans la postérité ».

C’était la pensée napoléonienne, jusques et y compris le désir de ne pas intervenir, à main armée, qu’Orsini exprimait là. Le fidèle et discret Piétri avait sans doute mis la main à cette lettre suprême.

Mais que signifiait encore une fois ce brusque revirement et cette mise « n scène ? Aux grands desseins, les petits moyens. C’était la pratique habituelle de l’Empereur. L’homme indécis qu’il était, tiraillé entre les diverses influences conservatrices ou démocrates, des Tuileries ou du Palais-Royal, avait rapidement vu dans l’attentat le moyen d’excuser, auprès de l’Impératrice, auprès des conseillers conservateurs, une intervention italienne. L’Impératrice fut désormais convaincue des dangers que son obstination anti-italienne faisait courir à son mari ; à la dynastie. Elle se laissa imposer la décision impériale. Elle travailla, comme elle l’écrivait au comte Arese « à se faire italienne ».

Napoléon III alors s’engagea. Ce fut des Tuileries que Cavour reçut, pour les publier dans la Gazette Pièmontaise, la lettre d’Orsini, lue par Jules Favre, et celle qu’il adressait encore à l’Empereur, le 9 mars, avant de monter sur l’échafaud. Rome était momentanément sacrifiée. Les articles d’Edmond About, dans le Moniteur officiel, articles où il révélait son détestable gouvernement, le lui apprirent !

Ainsi à l’extérieur, l’Empereur, inaugurant décidément sa politique italienne,