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vers les réalités sociales, la besogne d’initiation accomplie intelligemment par les plus récents spécialistes de l’histoire économique dans nos universités n’est pas assez avancée pour que l’histoire générale puisse déjà bénéficier de travaux encore très rares, très peu coordonnés, et qui ne sont pas encore arrivés à la période du Second Empire.

Pourtant, jamais l’expansion municipale ne fut plus vigoureuse, matériellement, que dans cette époque, et le Second Empire est pour la plupart de nos grandes villes une ère de prospérité et de transformation soudaine. L’ « haussmannisme » ne fut pas seulement un phénomène parisien. Lyon, Bordeaux, Marseille, Rouen, Cherbourg, le Havre accomplirent de même d’immenses travaux. Ces travaux étaient nécessaires et productifs pour une grande part. Ils répondaient à des besoins d’hygiène et de confort, aux besoins nouveaux de la circulation et à ceux de la navigation rapide à grand tonnage ; et ces besoins on ne les conteste plus. Ils nécessitaient un droit d’expropriation élargi et dévolu aux communes ; et ce droit, malgré toute la surveillance fonctionnariste, constituait dès lors, qu’on l’ait soupçonné ou non, une possibilité de gestion communale nouvelle, une possibilité de contrôle donnée à un pouvoir public sur la propriété privée. Les chantiers de travail de ces grandes entreprises publiques ont formé comme les ateliers nationaux du Second Empire. Sans doute la tentative de discipliner les ouvriers tout en leur assurant du travail, l’ancienne préoccupation policière qui a discrédité à tout jamais la mensongère création des ateliers nationaux de 1848, n’est pas absente de cette organisation nouvelle. Mais tout d’abord cette organisation sous l’Empire a été productive au lieu d’être stérile, et il est certain que dans son souci de ménager les ouvriers, le Second Empire a trouvé plusieurs des méthodes qui permettent de conjurer des crises temporaires de chômage par des entreprises utiles de travaux publics.

Karl Marx déjà remarquait que les suffrages qui consolidaient l’Empire étaient ceux des paysans. La sollicitude de l’empereur pour les classes rurales se manifeste dans des discours réitérés. Pourtant l’œuvre réelle du Second Empire en faveur des paysans fut mince. On multiplia les Comices agricoles ; et les grands travaux d’assèchement des marécages landais qui de 283 000 ramenèrent à 9 500 hectares la superficie inculte de la terre de Gascogne ne sont pas méprisables. L’élevage des chevaux fit de notables progrès. Mais les syndicats agricoles auxquels les préfets offraient une protection un peu trop indiscrète ne prospérèrent pas. Les autorités se méfiaient du droit de réunion, même quand il n’avait pour objet que la discussion d’intérêts tout économiques. Encore en 1869, il arriva que le ministère interdit un congrès viticole. Plus d’une fois, il advint que des préfets se fissent un devoir d’interdire les opérations de la moisson, quand ils n’estimaient pas la récolte mûre. Il était défendu de passer le râteau sur le champ après la récolte pour que les chemineaux eussent de quoi glaner. Le comte d’Esterno dans son livre Des Privilégiés de l’ancien régime et des privilégiés du nouveau a réuni des anecdotes savoureuses sur les excès comiques du paternalisme impérial ; et les paysans, dans la crainte qu’on avait su leur inspirer à l’endroit des ouvriers « partageux, » acceptaient sans maugréer l’intrusion du pouvoir défenseur de l’ordre dans les moindres intérêts privés. Au demeurant le Crédit foncier sur 714 millions qu’il plaça en biens-fonds de 1852 à 1864, en dépensa la moitié à la reconstruction de Paris, et 57 millions seulement en prêts à des entreprises agricoles, L’exode rural enlevait à l’agriculture ses bras tandis qu’il enchérissait aussi la main-d’œuvre. La reconstruction soudaine des grandes villes, autant que le prodigieux