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« Qu’on aille me chercher le dossier du procès de la machine infernale », avait dit Napoléon III en rentrant aux Tuileries. De même que le premier Consul, visé par les royalistes, dans la rue Saint-Nicaise, avait frappé les républicains, de même son neveu allait profiter de l’attentat de l’Opéra pour renouveler la terreur de décembre.

Qu’importe de rappeler qu’aucun Français, de l’aveu même des journaux de l’Empire, ne se trouvait mêlé au complot ? La peur ne se raisonne pas. Et les hommes de décembre, pendant dix-huit ans, eurent peur. Vaguement, ils sentaient que, l’Empereur tué, vingt mille bouches, spontanément, auraient dans les rues de Paris proclamé la République. Pour leur sécurité, ils décidèrent d’extirper les derniers germes de République qui pouvaient subsister en France.

Quatre jours après l’attentat, le 18 janvier, le chef de l’État, prenant la parole à l’ouverture de la session du Corps législatif, avait fait entendre des phrases menaçantes : « Une liberté sans entraves, avait-il déclaré, est impossible tant qu’il existe dans un pays une action obstinée à méconnaître les bases fondamentales du gouvernement…

Le danger, quoi qu’on dise, n’est pas dans les prérogatives excessives du pouvoir, mais plutôt dans l’absence de lois répressives… La pacification des esprits devant être le but constant de nos efforts, vous m’aiderez à rechercher les moyens de réduire au silence les oppositions extrêmes et factieuses ».

Les intentions du pouvoir étaient claires. Les actes ne se firent pas longtemps attendre. La Revue de Paris fut supprimée, par ordre de M. Billault, pour avoir osé faire encore « la glorification des souvenirs et des espérances de la pensée républicaine. Supprimé également, le Spectateur, légitimiste, pour avoir trouvé encore dans l’attentat du 14 janvier « une occasion de protester de nouveau en faveur des principes qu’il défend ».

Le l fr février, le Corps législatif, qui s’était levé « comme un seul homme », transporté d’admiration et d’enthousiasme, quand l’Empereur menaçait les partis extrêmes, recevait communication d’un projet de loi de sûreté générale, élaboré par M. Billault. M. de Morny le rapporta ; l’homme du Coup d’État allait faire consacrer législativement sa besogne ignoble. Les pratiques administratives de 1852 allaient être élevées au rang de mesures légales. Le rapporteur savait d’ailleurs les moyens à employer. Une fois encore il évoqua le spectre rouge, déclara que l’attentat du 14 janvier était « attendu par les sociétés secrètes », dit la nécessité « d’intimider et de disperser ces ennemis implacables de la société qui détestent tous les régimes… qu’aucun pardon n’apaise… et qui enlacent la France dans un réseau secret dont le but ne peut être que criminel ». Le style de M. de Morny, ou le voit, valait son œuvre.

Quelques hommes protestèrent contre les mesures de répression qu’on leur demandait : Émile Ollivier, le marquis d’Andelar, le marquis de Pierre, Legrand ; il se trouva des Granier de Cassagnac et des Riché pour les proclamer