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démarches de comte Arese ou des Bonaparte. ; et sa dévotion superstitieuse les servait admirablement.

Par contre, Cavour avait trouvé au Palais-Royal, en la personne du prince Napoléon un auxiliaire des plus dévoués. C’était au Palais-Royal qu’on entretenait la tradition du bonapartisme démocrate et libéral. C’était là qu’on essayait de retrouver et de maintenir l’alliance entre le bonapartisme et les républicains les moins irréductibles ; et la politique des nationalités, hardiment pratiquée, était le seul moyen d’opérer ce rapprochement. Entre l’influence cléricale et l’influence démocratique, entre l’Univers et le Siècle, Napoléon III hésitait. Le remaniement de l’Italie, l’unité et l’émancipation d’une nation latine lui tenaient toujours à cœur. Faire l’Italie une, c’était briser avec éclat les traités de 1815 : mais il eût voulu le faire sans révolution et sans combat, par la diplomatie. La politique anticléricale de Cavour et l’hostilité des patriotes italiens contre le pape lui faisaient pressentir toutes les conséquences d’une guerre nationale et populaire qui soulèverait le peuple.

1857 passa sans que l’Empereur osât prendre la résolution attendue. Les élections de cette année-là avaient été un argument excellent, pour les bonapartistes libéraux ; ils avaient pu montrer le réveil du républicanisme, désigner la part qu’on pouvait lui faire ; mais Napoléon III ne s’était pas décidé. Un autre que Cavour se serait découragé ; obstiné dans son dessein, il achevait au contraire de rallier les patriotes italiens, d’affermir la position du Piémont. Il donnait confiance à tous par son attitude arrogante envers l’Autriche. Ni Mazzini, qui tentait à Gènes un coup de main en juin, ni les catholiques qui s’efforçaient en novembre de le renverser par l’action électorale, ne purent ébranler son pouvoir. L’Italie était prête à le suivre, quand l’heure sonnerait.

L’heure sonna, le 14 janvier 1858. La bombe d’Orsini fut le prologue d’un drame étrange.

Le 14 janvier 1858, au soir, lorsque l’Empereur et l’Impératrice arrivaient à l’Opéra, trois bombes furent lancées vers leur voiture. Ni l’Empereur ni l’Impératrice n’avaient été atteints ; mais 141 personnes avaient été blessées, dont deux mortellement.

Les auteurs de l’attentat avaient été arrêtés : c’étaient quatre Italiens, le comte Orsini, Pierri, Gomez et Rudio. Leur but était de frapper le chef d’État qui seul eût été capable de délivrer l’Italie, mais que des liens toujours plus étroits avec le parti conservateur empêchaient d’accomplir son devoir. Déjà, et pour les mêmes causes, en 1853, Pïanori avait tiré sur l’Empereur ; en 1857, Tibaldi avait comploté contre lui.

Après l’attentat, le premier moment fut de stupeur, d’épouvante. L’Impératrice, éplorée, poussait à la répression. On prit à l’Intérieur, de nouvelles mesures de violence contre les républicains ; on fit à l’extérieur, des menaces aux États qui gardaient les proscrits, à l’Angleterre, au Piémont.