Page:Jaurès - Histoire socialiste, X.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rassemblement des forces italiennes : c’était M. de Cavour. Ce grand seigneur, étranger aux luttes des partis, n’avait jamais eu qu’une passion : L’unité italienne. Servi par une mémoire prodigieuse, une capacité de travail énorme, une volonté de fer, et surtout des connaissances économiques singulières, dues autant à l’étude qu’à l’exploitation éclairée de grands domaines, il sut s’imposer au roi, aux autres ministres, à la nation. Très impopulaire au début, il convainquit l’Italie. Sans phrases, par des actes de bonne administration, par le développement du commerce et de l’industrie, il lui donna la certitude qu’une puissance économique, capable de soutenir une armée forte, était plus propre à lui donner la liberté que les plus beaux enthousiasmes unitaires. Et c’est ainsi que dès 1852, il rallia les partis dans le connubio.

Dès alors les patriotes piémontais songèrent à une lutte nouvelle contre l’Autriche ; mais ils comprirent qu’ils ne pouvaient la mener seuls. Il leur fallait des alliances. Cavour rechercha celle de la France. Pour l’obtenir il était prêt à employer tous les moyens, même des moyens douteux. Mais il fallait atteindre le grand but.

Napoléon, au demeurant, ne demandait qu’à manifester ses sympathies pour l’Italie. Avec du temps et de l’obstination, Cavour devait emporter son appui.

Dès 1852, spontanément, l’Empereur avait déclaré au ministre sarde qu’il aimait l’Italie comme une seconde patrie, et il lui avait exprimé l’espoir de voir « un jour les deux pays compagnons d’armes pour la cause de l’indépendance ». En 1854, nous l’avons vu, Cavour avait accordé sans conditions, et malgré l’opposition des autres ministres, le concours des troupes sardes pour la guerre de Crimée. Ainsi le Piémont était-il sorti de son isolement ; et les minces succès de ses troupes, amplifiés par l’orgueil populaire, avaient rehaussé dans tous les petits États italiens son prestige militaire. Cependant Napoléon III poursuivait son rêve ; et les fidèles amis que Cavour avait aux Tuileries, le comte Arese, un Lombard, vieil ami d’exil de l’Empereur, et le docteur Conneau, fils d’un Français et d’une Milanaise, son compagnon de prison à Ham, ne négligeaient rien pour tourner les impériales rêveries au profit de la liberté italienne. En novembre 1855, quand Cavour et Victor-Emmanuel vinrent assister à la clôture de l’Exposition, Napoléon III leur demanda « ce qu’on pouvait faire pour le Piémont et l’Italie ».

Au Congrès de 1856, il fit déjà quelque chose pour elle, en faisant admettre M. de Cavour. Celui-ci n’obtint guère plus que la sympathie des puissances ; et l’opposition, à son retour, trouva que c’était peu. Mais en fait, comme il le disait, « la cause de l’Italie avait été portée à la barre de l’opinion publique » et le Piémont était désormais son avocat reconnu. D’ailleurs, hors du Congrès, aux Tuileries, entre le ministre sarde et l’Empereur des pourparlers amicaux et secrets avaient été engagés. Une très belle comtesse italienne avait même, dit-on, fort aidé son ministre, auprès de l’Empereur.