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comme celle de l’organisme débile, qui ne peut que défendre son existence contre toutes les forces adverses ! La vie normale, la vie inconsciente de l’organisme fort ne pouvait recommencer que par l’action. Mais une action républicaine était-elle possible sous ce régime ? Une intervention républicaine était-elle possible dans ce système ?

Ce sont les rêveries napoléoniennes qui la rendirent possible ; c’est la politique extérieure de Napoléon III qui rendit quelque la liberté et quelque force au parti républicain.

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Par la guerre de Crimée, Napoléon III avait donné satisfaction aux catholiques ; par cette guerre, également, et par le Congrès de Paris, il avait donné à la France la gloire nationale que tous les partis désiraient. Pour un régime comme celui qu’il avait établi, et dans un pays comme la France, une guerre glorieuse, même stérile, était une utile diversion. « En France, comme le disait Persigny, dès 1850, le sentiment national est le seul moyen de combattre les mauvaises passions ». Lisons : le nationalisme est le plus efficace moyen de réaction.

Au lendemain du Congrès de Paris, la France se trouvait dans une position admirable. Grâce à elle, l’Angleterre avait réalisé ses desseins dans la mer Noire. La Russie, vaincue et préparant sa revanche, recherchait ses bonnes grâces et même son alliance ; l’Autriche, satisfaite de l’issue d’une guerre qui, malgré les efforts de la Prusse ou du Piémont, ne lui avait rien coûté, ni en Allemagne ni en Italie, lui était reconnaissante de la libre navigation du Danube. C’était la France encore qui aidait la Turquie dans son effort de réforme intérieure ; c’était elle qui avait obtenu au Congrès l’admission de la Prusse et du Piémont, et ces deux nations attendaient d’elle un avenir conforme à leurs espérances. Cette position valait d’être gardée : il suffisait de montrer que la France était assez forte pour obliger chacun de compter avec elle, assez désintéressée pour donner confiance en ses arbitrages.

Mais Napoléon III avait de grandes idées, conçues depuis longtemps, longuement méditées pendant les années d’exil ou d’aventure, et dont la réalisation le hantait. Ce qu’il voulait, c’était réaliser pacifiquement les vœux traditionnels de la Révolution française et de l’Empire ; c’était rendre à tous les peuples leur indépendance, leur liberté. Héritier du grand Empereur, élevé par sa mère dans les souvenirs de l’épopée impériale, il se proposait d’effacer la honte des traités de 1815, d’effacer surtout les dispositions injustes qui continuaient de peser sur les peuples. Il connaissait les aspirations des races opprimées ; dès sa jeunesse, il avait reçu les leçons des philologues Lebas et Hage, et il avait eu, comme ses condisciples allemands, la passion des études archéologiques. Plus tard, de 1824 à 1820, en Italie, il s’était attaché à la patrie romaine ; il avait même lutté avec son frère aîné, en 1831, pour la cause