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Simon, Jean Reynaud ; des publicistes comme Laurent Pichat, Frédéric Morin, Eugène Pelletan ; des professeurs comme Vacherot. Ce comité d’anciens répartit les candidatures dans les dix circonscriptions de Paris.

Mais, à côté d’eux, des jeunes avaient voulu leur part : il y en avait autour de M. Havin qui ne manquaient point de talent, des avocats surtout, quelque peu dédaigneux des « vieilles barbes », et impatients d’agir. Parmi eux. Durier, Ernest Picard, et surtout Émile Ollivier. Fils d’un vieux républicain, d’un proscrit, de Démosthène Ollivier, — préfet des Bouches-du-Rhône, à vingt ans, par la volonté de Ledru-Rollin, cet avocat prompt aux harangues et aux allocutions, désirait, parait-il, montrer qu’une opposition irréductible à l’Empire pouvait ne pas exclure une participation active à ses travaux parlementaires. Comme tous les hommes de sa génération, il avait soif d’action. Il pensait que les anciens avaient trop parlé, trop discuté des principes, trop accumulé et heurté les formules grandioses. Et c’était l’avis aussi de ceux qui, comme Ranc, se mêlaient aux sociétés secrètes et aux conspirations. Mais lui, c’était dans l’enceinte parlementaire, c’était par une collaboration quotidienne au travail d’administration, qu’il comptait donner autorité à l’idée républicaine. « Il est, disait-il quelques jours plus tard dans son programme, une sorte de démocratie, large, sympathique, qui s’élance vers l’avenir. Cette démocratie sait qu’on grandit par l’assimilation et non par l’exclusion ; qu’en présence d’une situation nouvelle, il faut se transformer et non se répéter. Elle croit que le temps des phrases est passé et que celui de la science commence. L’amélioration morale et matérielle du sort de ceux qui souffrent, des travailleurs ; le développement du commerce, de l’industrie, du crédit : voilà son but. — La liberté : voilà ses moyens. Cette démocratie est celle de la jeunesse depuis 1848 ; je suis un de ses représentants ».

La protection de M. Havin valut à M. E. Ollivier une circonscription ; la roublardise du même Normand, qui publia dans le Siècle, au lieu de la liste arrêtée par le comité, une liste à sa façon, lui valut une bonne circonscription.

Les ouvriers n’avaient point eu voix au chapitre. Ils allaient voter en masse pour les candidats désignés par les comités bourgeois. Ils n’avaient ni la liberté, ni les moyens de s’occuper des élections. L’habile homme qu’était Havin estimait cependant qu’il fallait au moins avoir l’air de penser à eux. Il avait songé à Proudhon, qu’ils continuaient d’aimer. Mais Proudhon ne tenait point à se présenter ; personnellement même, il penchait maintenant pour l’abstention. Ce fut un de ses collaborateurs, Darimon, qu’Havin choisit.

Ces petites manœuvres d’Havin et de son protégé soulevèrent de vives querelles. D’aigres et publiques discussions se poursuivirent entre Émile Olivier et Garnier-Pagès. A Paris finalement l’opposition marcha divisée à la bataille.

Et pourtant le succès fut grand : Paris, dans ses circonscriptions urbaines, nomma cinq républicains sur huit députés à élire. Trois au premier tour, et